Bien qu’il considère lui-même cet essai, accueilli dans la collection "Les grands mots", comme plus anthropologique que philosophique, c’est en décloisonnant sa discipline que Pascal Picq a choisi d’aborder cette immense question qui, note-t-il, ne semble pas avoir beaucoup intéressé les philosophes : en quoi la marche fait l’homme ?
S’il paraît très clair à l’éminent spécialiste de la préhistoire que "l’humanité commence avec la bipédie", bipédie aux conséquences nombreuses sur la physiologie, la sexualité et l’organisation sociale, les origines de la marche restent quant à elles le problème "le plus confus et incompris" autour duquel persistent de nombreux mystères. Pascal Picq dresse donc dans un premier temps l’historique d’une tradition de pensée occidentale encombrée par "les héritages ontologiques" puis un très clair état des lieux des différentes hypothèses théoriques, y compris celles issues des découvertes de fossiles les plus récentes en Afrique, et des nombreuses controverses qui ont agité et agitent encore le monde de la recherche en paléoanthropologie.
Comme son "grand maître en tout", Charles Darwin, dont Pascal Picq rappelle combien certains concepts, notamment celui de sélection naturelle, ont été détournés, il estime que l’origine de la bipédie est à chercher du côté des grands singes dans les forêts et non dans les savanes. Et insiste sur le lien entre les pieds et le cerveau dans l’évolution. "Les facultés de penser de l’Homme ne seraient pas ce qu’elles sont sans nos pieds et nos pieds ne nous auraient pas portés aussi loin dans le monde sans nos pensées." Tout en s’extasiant sur la superbe machinerie issue du processus adaptatif qui a donné à la lignée humaine avec une seule allure, le trot, la capacité d’inventer une telle diversité de mouvements.
Au gré de ses pérégrinations, Pascal Picq rend hommage à Michel Serres, Julien Gracq et Cyrano de Bergerac, convoque quelques rares philosophes marcheurs comme Rousseau, Thoreau et Nietzsche, salue les ouvrages de Rebecca Solnit (L’art de marcher) et de Frédéric Gros (Marcher, une philosophie), et donne surtout à cet essai des accents de manifeste. Fustigeant notamment l’utopie du transhumanisme, il exhorte l’humanité, menacée par ce qu’il appelle "le syndrome de La planète des singes ", la sédentarité, les modes de vie qui accompagnent les civilisations agricoles et industrielles depuis plus de cinq mille ans et "vont à l’encontre de deux millions d’années d’évolution", à se remettre en marche. Véronique Rossignol