"Quand la politique n’est plus une mission mais une profession, les responsables politiques ne sont plus des engagés mais des intéressés", déclarait le candidat Macron dans Le Monde daté du 8 mars 2017. Aujourd’hui locataire de l’Elysée, le fondateur du mouvement En Marche !, devenu La République en marche (LREM), souhaite réduire le nombre de députés et de sénateurs, quitte à avoir recours à la voie référendaire. Que cela dit-il de la volonté présidentielle ? Ce désir de diminution des représentants de la nation s’inscrit-il dans un mouvement général de désengagement de l’Etat, trahit-il une philosophie plus large de réduction du service public ? Emmanuel Macron entend-il diluer le lien démocratique entre élu et citoyen pour mieux servir le milieu des affaires ? Le président, surnommé "Mozart de la finance", n’a-t-il pas été associé-gérant à la banque Rothschild ? La question qui se pose au fond, ainsi que la formule Pierre Birnbaum dans son "essai sur les nouvelles élites du pouvoir", Où va l’Etat ?, est bien : "L’accession au pouvoir d’Emmanuel Macron constitue-t-elle un tournant qui témoigne de l’affaiblissement du pouvoir de la longue différenciation de l’Etat d’avec la société civile ?"
A de nombreux égards aux antipodes, la présidence Sarkozy et le chapitre macronien qui vient de s’ouvrir ont cela de commun : une idéologie économique libérale. Laquelle idéologie passe par une redéfinition des missions de l’Etat (laisser faire le privé là où le public est jugé onéreux et peu efficace) et une inflexion pro-business plus qu’assumée. La forte présence dans les cercles du pouvoir de personnes du monde des entreprises et des affaires en est une preuve. Avec le raz-de-marée LREM (porté par l’élection de leur champion, le ras-le-bol de l’ancien personnel politique et l’application du non-cumul des mandats), on a vu comme jamais augmenter le nombre d’élus issus de la société civile. Alors que le gros des troupes parlementaires sous la IIIe et la IVe République était formé d’enseignants, on trouve aujourd’hui un nombre inédit de cadres du secteur privé, plus de 15 %, sans compter les industriels et chefs d’entreprise, plus de 5 %. Pas mal de diplômés d’HEC et autres écoles de commerce.
Dans cet essai fort instructif - Pierre Birnbaum évalue tour à tour l’Ena, les risques de collusion entre hauts fonctionnaires et grandes entreprises -, l’auteur du désormais classique Les sommets de l’Etat (Seuil, 1977) montre que si l’omniprésence d’"écoles de commerce" est assez remarquable au sein de l’appareil étatique, ces nouveaux serviteurs de l’Etat, même "hécisés", gardent un sens de l’Etat (le réel "pantouflage", à savoir le passage de ces derniers du public au privé, est égal à 8 %). Et de conclure que "la différenciation de l’espace étatique demeure une réalité, certes menacée, mais toujours vivante". En France, l’Etat résiste. Sean J. Rose