Roman/France 3 janvier Claire Fercak

« Maintenant je sais qu'il y a deux types de souffrance, celle dont on meurt, et la seconde, la nôtre, celle d'être dans l'épreuve d'assister à la première », confie une mère anonyme dans un « groupe de parole pour les aidants » réuni dans la bibliothèque du service de neurologie d'un gigantesque hôpital parisien. Cette parole vient nourrir le déchirant chœur de détresse et d'impuissance qu'est le dernier livre de Claire Fercak dans lequel s'élèvent et se répondent les voix de malades déjà partis et des vivants qui les pleurent. Les premiers ont combattu un ennemi qui a eu leur peau : un glioblastome, une tumeur cérébrale agressive, rare et que la médecine ne sait pas guérir. Aux symptômes multiples « fluctuants, vicieux » mais qui tous condamnent à une dégénérescence irréversible, une première mort dans une dilution de l'identité.

L'écrivaine - Le Rideau de verre (2007), Histoires naturellesde l'oubli (2015) - embrasse dans un vous collectif qui l'inclut le témoignage de ces « aidants familiaux », ceux qui accompagnent et assistent leur proche dépendant. Ce vous est fille, fils, mère, père, sœur, compagnon, mari, ami..., intimes de malades de tous âges. C'est un vous endeuillé, épuisé qui refait ce voyage « hors du monde », « à côté de tout », « dans la profondeur de la nuit ». Un vous tour à tour indigné, obsédé par le désir de comprendre autant qu'accablé face à un diagnostic qui livre à un vertigineux sentiment d'inutilité. « Votre combat n'est rien, vous vous activez sans résultat, sans autre échappatoire que la ruine de l'individu en sursis. »

Aux voix de ces proches désemparés se mêlent celles des patients recueillis par bribes dans les chambres d'hôpitaux qui seront leurs dernières maisons. Les rêves confus, les hallucinations, les paroles incohérentes, les phrases suspendues dans le vide mais aussi la lucidité tragique, par fulgurances, de ces têtes perdues, recueillis par bribes. Ce nouveau monde chaotique auquel les aidants n'ont d'autre choix que de s'adapter. « Je ne sais pas si je verrai l'été prochain », pressent l'une de ces voix. Une autre croit être La belle au bois dormant. Mais dans le conte, les haies d'aubépines épineuses croissent autour du château pendant le long sommeil. Ici les ronces colonisent l'intérieur et la princesse ne sortira pas de sa nuit. Tout est mal qui finit mal. Ne restent que ceux qui peuvent se souvenir, nommer pour retenir la vie.

Claire Fercak
Ce qui est nommé reste en vie
Verticales
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 16 euros ; 160 p.
ISBN: 9782072867033

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