Fondée en 2006 par l'Institut national d'histoire de l'art, Perspectives publie des articles historiographiques. Entre tribunes, débats, entretiens et essais, son numéro de janvier consacre une centaine de pages au thème "Danser". Loin de viser le “grand public”, la rédactrice en chef Judith Delfiner souhaite accroître son lectorat. Pour autant, les articles ne sont pas vulgarisés. "Cela reste une revue de spécialistes, mais nous essayons d’être compréhensibles", précise-t-elle.
Ailleurs, la volonté d’élargir sa visibilité s’accompagne d’une vulgarisation des sciences. C’est le cas au sein de la revue d'anthropologie et sciences humaines, Terrain. "Quand nous recevons des articles, nous insistons sur le fait qu’ils soient très vivants. C’est très facile pour l’anthropologie, car nous racontons des histoires descriptives", estime la rédactrice en chef du magazine papier, Christine Jungen. Toutes les disciplines ne sont pas pour autant évidentes à vulgariser. La revue Technè de la RMN-Grand Palais consacre son numéro 49 au "mobilier Boulle". Mais "il y a des difficultés à écrire pour pouvoir rassembler un public pluridisciplinaire", selon la rédactrice en chef adjointe, Marie Lionnet de Loitière.
La difficulté à atteindre son public peut d'ailleurs mener à la fin de publication. Ce fut le cas pour la Revue de la Bibliothèque nationale de France, interrompue en 2020. Malgré un remaniement de sa formule, la publication qui existait depuis 1999 a été contrainte de cesser sa parution. La crise économique n'épargne pas ces revues de niche. "D’année en année, il faut essayer de tenir les abonnements. Sans le soutien du musée, nous publierions à perte”, témoigne Jean-Pierre Criqui pour la revue du Centre Pompidou.
Dialogue avec les musées, accès à de nouveaux lecteurs
La ligne éditoriale de ces revues est de plus en plus pensée pour intéresser un autre lectorat que les universitaires. En témoigne le numéro thématique de L’Homme sur "Les fins de l'égalitarisme", paru en octobre 2020. "Nous parlons de sociétés considérées comme égalitaires et nous nous demandons : qu'est-ce qu’on en pense maintenant ? Ce genre de numéro peut aussi interpeller des lecteurs pas forcément initiés à l’anthropologie", juge le rédacteur en chef Grégory Delaplace.
Chez Hommes & migrations, confiée en 2007 au musée national de l'Histoire de l'immigration (Palais de la Porte Dorée), un audit a été réalisé. Résultat ? "Il fallait avancer la ligne éditoriale pour se rapprocher du musée et ainsi créer une revue de dialogues sur les notions migratoires", résume la rédactrice en chef, Marie Poinsot. L’objectif est de trouver un équilibre entre la programmation du musée, les problématiques d'actualités et les grands thèmes.
De Pablo Escobar à Phoolan, le numéro de Terrain daté du printemps 2021, traite ainsi du processus de fabrication des icônes du banditisme. "Cela répond à des questions que tout le monde peut se poser", souligne Christine Jungen. La revue d'anthropologie d'histoire de l'art Gradhiva (Musée du Quai Branly - Jacques Chirac) est également sensible aux choix des sujets. "Les thèmes correspondent à l'actualité du musée ou doivent avoir un répondant par rapport à des faits de sociétés", explique Philippe Charlier, membre du comité de rédaction.
Le papier valorisé, le numérique passage obligé
Au-delà d'une ligne éditoriale plus accessible, d'autres stratégies se mettent en place pour survivre. "Nous avons eu l'idée d'intégrer OpenEdition, mais il y a un délai de deux ans d’attente contre quelques mois auparavant. La plateforme connaît un vrai succès", analyse Christian Hottin, responsable de la revue Patrimoines (Institut national du patrimoine). Lancée en 2020, le blog "Carnet de la recherche" de la revue publie des articles de vulgarisation, parfois écrits par les étudiants. Le directeur de la revue souhaite à terme se transformer en une revue intégralement en ligne. Mais le sujet reste sensible. "Il y a de fortes réticences à abandonner le papier", ajoute-t-il.
Gradhiva a bien conscience de cet attachement à l'imprimé. Si un accès gratuit et immédiat à son contenu est déjà disponible sur la plateforme OpenEdition, le public ciblé reste celui des chercheurs. Sous la tutelle du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, "nous sommes soumis à l'obligation de la science ouverte", explique Philippe Charlier. Pour autant, la formule papier veut toucher un public plus diversifié. Alors, les revues s'adaptent aux codes de la presse magazine ou changent de maquette ou de format. Les trois derniers numéros de cette revue comportent notamment une pochette qui, une fois déplié, devient une affiche photographique. "C'est devenu presque une revue de collection, un bel objet", décrit Philippe Charlier.