Premier roman calme et poignant, Monde sans oiseaux de l’auteure de théâtre Karin Serres, qui paraît dans la collection « La forêt » animée par l’écrivaine Brigitte Giraud chez Stock, commence comme un conte dans un village de bois coloré au bord d’un lac nordique. Un monde entre Moyen Age et science-fiction, réaliste et empreint d’une fantaisie grave. Jadis, il y avait des oiseaux mais ils ont disparu, et les hommes élèvent désormais dans le lac des cochons transgéniques fluorescents, croisés avec des anémones de mer - « c’est plus pratique pour les surveiller » - et avec des lamantins « qui rendent les cochons amphibies, aussi ». « Petite boîte d’os » habite la « maison jaune » avec son père, le pasteur de la communauté, sa mère qui se baigne nue certains soirs, son ombrageux frère aîné qui la persécute. Mais l’enfant est « très placide », regarde, raconte, fait défiler les saisons de sa vie avec une sagesse un peu mutante, elle aussi. Adolescente, elle apprend à pêcher avec le vieux Joseph, qui lui propose, le jour de ses 17 ans, de plonger avec lui « sous la peau du lac » au fond duquel reposent les morts. C’est le premier cadeau d’anniversaire que lui fait celui que l’on surnomme « Joseph le Cannibale » et il y en aura beaucoup d’autres au rythme cyclique et fatal des années : un mouton, une robe de chambre en peau d’écureuil, une écharpe bleue, un harmonica, des palmes translucides… La copine d’enfance Blanche épouse Gilbert, le « fils du Mesureur ». Des enfants naissent. Des enfants meurent. Les montagnes fondent et l’eau monte. La vie vieillit à l’intérieur d’un perpétuel recommencement. A l’image de ces cercueils d’osier ajourés s’enfonçant dans les eaux du lac-cimetière, ce texte bref étreint avec la grâce évidente et rustique d’une ronde : la danse des vivants et des morts.
V. R.