Édition

« Les paris sont ouverts » de Claude Cahun, pamphlet intemporel pour la liberté de la poésie

"Poupée 1, 1936-1939" et couverture des "Paris sont ouverts" de Claude Cahun (Le rayon blanc) - Photo Jersey Heritage Trust / Bridgeman Images

« Les paris sont ouverts » de Claude Cahun, pamphlet intemporel pour la liberté de la poésie

Les éditions Le rayon blanc rééditent le pamphlet devenu introuvable de l’artiste surréaliste Claude Cahun, dont l’œuvre vient de tomber dans le domaine public. Une réflexion toujours d’actualité sur le rôle de la poésie comme instrument ultime de libre expression.

J’achète l’article 1.5 €

Par Charles Knappek
Créé le 10.01.2025 à 17h46

Écrivaine, photographe, plasticienne, juive, résistante, homosexuelle, queer… les qualificatifs ne manquent pas quand il s’agit d’évoquer Claude Cahun. Figure trop peu connue du mouvement surréaliste, cette artiste éclectique qui toute sa vie cultiva farouchement son indépendance, voit son œuvre largement redécouverte depuis quelques années.

Le succès des Francs-tireuses, la biographie romancée que lui consacre Emmanuelle Hutin, parue en septembre 2024 chez Anne Carrière (3 000 exemplaires vendus selon Gfk), en est la dernière illustration. L’ouvrage met en lumière ses années de résistance avec sa compagne Suzanne Malherbe à Jersey pendant l’Occupation allemande.

Mais c’est à un autre épisode de la vie de Claude Cahun que renvoie la publication ce 9 janvier par les éditions Le rayon blanc du pamphlet Les paris sont ouverts. Dans ce court texte paru en 1934 chez Corti et de longue date introuvable, Lucy Schwob de son vrai nom (née à Nantes en 1894, nièce de l’écrivain Marcel Schwob, elle prendra le nom d’adoption Claude Cahun en 1917) défend l’idée d’une poésie qui, fondamentalement, « garde son secret ».

Le langage comme « agent de conflits »

Membre à la fois éminente et distante du mouvement surréaliste, Claude Cahun ne concevait pas la poésie autrement que comme « action indirecte » obligeant le lecteur « à faire tout seul un pas de plus qu’il ne voudrait ». En somme, une poésie à rebours des textes affirmatifs et moralisateurs, généralement cadencés et « qu’on apprend par cœur » comme la Marseillaise, la Madelon ou l’Internationale qu’elle considérait comme de simples méthodes de « crétinisation ».

Claude Cahun, qui voyait dans le langage un « agent de conflits », réservait aussi la science et la philosophie à la connaissance directe et indirecte de l’univers. À cette aune il ne restait, pour saisir le cœur des hommes et des femmes, que la poésie qui, au contraire, « intervient, là, et là, et partout, provoquant dans cette prise de conscience humaine des courts-circuits – ces raccourcis "magiques" dont l’amour sexuel et la souffrance extrême ont aussi le secret. »

Le fait poétique est « inhérent à la nature humaine »

Manière de rappeler, finalement, que le fait poétique étant « inhérent à la nature humaine », l’impossibilité d’une quelconque adéquation entre poésie et dogme s’impose comme une évidence.

De quoi circonscrire nettement les contours acceptables de la propagande qui « ne saurait être confiée qu’à la pensée dirigée des prosateurs conscients ». Claude Cahun place ainsi dans le même sac journalistes et orateurs mais sans y inclure les poètes qui, eux, « agissent à leur façon sur la sensibilité des hommes ».

Opposée à toute forme de dogmatisme et viscéralement attachée à la liberté intérieure que chacun puise en soi, la pamphlétaire des Paris sont ouverts était persuadée de l’efficacité indirecte de la poésie, préférant l’absurde, l’humour noir, la nostalgie ou le merveilleux aux slogans et aux vérités toutes faites.

Aragon, ce poète « mercenaire »

Communiste éminent qui quitta les Surréalistes pour rejoindre le Parti, et en qui elle voyait un poète « mercenaire », Louis Aragon en fait notamment les frais, coupable à ses yeux de privilégier le conformisme idéologique à la vérité de la poésie.

Mis en lumière par la préface d’Adeline Baldacchino, Les paris sont ouverts, est une critique sans concessions de la politique culturelle du Parti communiste des années 1930. C'est aussi un plaidoyer sincère et intemporel en faveur de la poésie véritable, celle qui naît de la « force d’émotion instantanée d’un moment quelconque de la vie intime ou collective. »

Après Les paris sont ouverts, Le rayon blanc prévoit de publier les derniers journaux de Claude Cahun, dans lesquels l’artiste évoque ses années de résistance à Jersey pendant l’occupation allemande.

Une nouvelle collection de poésie en mars

Les dernières
actualités