Grichka a 17 ans. Un "rideau noir et brillant, ces cheveux de garçon insolent" masque ses yeux gris, et ses mains jouent avec un petit dé rouge pâle attaché à une chaîne en argent. Dans les rues du Havre où il vit, "il marche sans mots à l’intérieur de lui". A l’école, on l’appelle "Grichka-sans-voix". Il ne parle à personne, n’adresse pas plus la parole à ses parents, Anna, caissière, et Mikhaïl, docker handicapé et sans boulot, mais il aime la compagnie de sa grand-mère, Babou, qui vit au-dessus de chez lui. Babou, qui passe son temps à tricoter et à broder, est celle qui réconforte, sauve l’adolescent des "puits noirs et sans fond". Mais "dans les yeux de sa grand-mère, il lisait une histoire ancienne où l’effroi et le couteau tentaient de se répondre".
Dans son premier roman, L’envoleuse (Verdier, 2014), on avait pu admirer la beauté de la langue de Laure des Accords et l’attention qu’elle savait porter à ceux qui se taisent. Aussi bref et concentré que ce premier titre, Grichka explore, en croisant des voix intérieures, le trouble et l’ambiguïté qui naissent du silence et des secrets, quand, tête vide ou trop pleine, les mots manquent ou ne parviennent pas à se frayer un chemin au dehors. Il y a ceux que la professeure de français de Grichka ne dira pas à son compagnon qui la quitte, quand il viendra chercher ses affaires. Ceux que son père mourant ne peut plus prononcer. Ceux que Babou transforme en points et en mailles. Pour l’adolescent mutique, c’est le théâtre, la rencontre avec les grands textes tragiques qui va désincarcérer la parole, et donner l’audace d’exposer les mots des autres en pleine lumière. Tandis qu’un chœur antique avertit : "Prends garde aux enfants fous/Qui portent leur ombre sous le bras", amplifiant avec lyrisme l’écho de ces voix libérées. Véronique Rossignol