Si Blaise Renaud, le P-DG de Renaud Bray, a affiché sa fierté de “pouvoir assurer une plus grande vitalité [...] à l’ensemble de la chaîne du livre”, l’Association nationale des éditeurs de livres (Anel) a immédiatement exprimé son scepticisme et son inquiétude, par la voix de son directeur, Richard Prieur, cité par Radio Canada : “C’est la responsabilité de l’acquéreur de prouver que cette acquisition va vraiment servir la chaîne du livre. [...] La chaîne du livre, ce n’est pas que les grands détaillants, les éditeurs et les auteurs, ce sont aussi des distributeurs, des libraires indépendants, des bibliothécaires.” Le directeur de l’Anel a ainsi fait part de ses craintes pour l’avenir : “La concentration dans la culture, ce n’est jamais bon signe dans la mesure où ce n’est jamais synonyme de diversification de l’offre.”
Les libraires pessimistes
Mais l’édition québécoise n’est pas le seul secteur à s’inquiéter de ce rachat, et les libraires, qui voient émerger un concurrent géant, sont alarmistes. Interrogé par le quotidien montréalais Le Devoir, Dominique Lemieux, le directeur général de la coopérative des Librairies indépendantes du Québec (LIQ), ne mâche pas ses mots, mettant en cause directement le P-DG de Renaud-Bray : “Mettre plus de 40 % du marché de la vente de livres entre les mains d’un seul homme, bien connu pour ses prises de position controversées et son manque de solidarité avec les partenaires, ne peut qu’ébranler les acteurs du milieu du livre.”
Les actions récentes du groupe Renaud-Bray et la personnalité de son P-DG semblent en effet cristalliser les crispations du milieu. La directrice générale de l’Association des libraires du Québec (ALQ), Katherine Fafard, a ainsi rappelé le conflit opposant, depuis le printemps 2014, Renaud-Bray à Dimedia – la chaîne de librairies a changé unilatéralement les règles commerciales qui la liaient au diffuseur –, ce qui a eu pour conséquence de priver le réseau Renaud-Bray des titres de 300 éditeurs.
Le quotidien Le Nouvelliste est allé questionner des libraires de Trois-Rivières, les réactions oscillant entre stupéfaction et inquiétude. “Nous n’étions pas du tout préparés à cela. Que Renaud-Bray songe à s’étendre, ce n’est pas surprenant, mais du côté d’Archambault, on ne s’y attendait pas du tout”, répond-on à la librairie L’Exèdre, la directrice de la communication évoquant elle aussi le conflit entre Renaud-Bray et Dimédia : “Qu’arrivera-t-il avec ces titres chez Archambault ? Est-ce une façon de forcer la négociation ? Le temps va nous le dire.”
Des politiques divisés
Depuis mardi, il faut se tourner vers la classe politique québécoise pour trouver des réactions plus contrastées. Hélène David, la ministre de la Culture et des Communications, tout comme François Légault, chef de la Coalition avenir Québec, cités par Le Devoir, veulent voir dans ce rachat une consolidation des librairies dans la province. La première s’est félicitée “qu’un fleuron québécois passe entre les mains d’un autre fleuron québécois”, tandis que le second se réjouissait “qu’on mette nos efforts en commun pour être capables de compétitionner les Amazon de ce monde”.
Elu du parti Québec solidaire, Amir Khadir était bien moins optimiste. Craignant, comme les libraires, de voir Renaud-Bray détenir “bientôt 40 % du marché de la vente de livres [...] dans un contexte où la protection actuelle offerte aux petits joueurs est insuffisante”, le député de Mercier a également pris pour cible le P-DG du groupe : “Blaise Renaud n’a cure des autres acteurs du milieu du livre, il veut gérer à sa manière, avec une vision strictement commerciale qui compromet le fragile équilibre établi par la Loi du livre, qui assure la mission culturelle des librairies”.