Francophonie

Les frontières ténues de la francophonie

Château de Villers-Cotterêts, verrière de la cour du jeu de paume, ciel lexical. - Photo © Benjamin Gavaudo / Centre des monuments nationaux

Les frontières ténues de la francophonie

Alors que le 19e Sommet de la francophonie se tient à Villers-Cotterêts les 4 et 5 octobre prochains, Langue et culture françaises vivent des hauts et des bas partout dans le monde. Quelle place l'industrie du livre y tient-elle ?

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Par Élisabeth Segard , Éric Dupuy, Jacques Braunstein
Créé le 01.10.2024 à 17h40 ,
Mis à jour le 02.10.2024 à 11h09

Le français est la langue officielle de 29 pays et il est parlé par 320 millions de personnes, mais son image s'est ternie. « Au Maroc, en Algérie et en Tunisie, des pays de tradition francophone, les jeunes apprennent l'anglais d'eux-mêmes et la menace est montante en Afrique subsaharienne, constate Olivier Aristide, directeur général de la Centrale de l'édition. Il faut favoriser les études et l'enseignement supérieur dans les pays francophones, car en limitant les visas aux étudiants, ceux-ci se tournent vers les pays anglo-saxons. Et ces jeunes sont les dirigeants de demain. » Une librairie francophone de Rabat a ainsi été contrainte de réserver 40 % de ses rayons aux ouvrages anglophones.

La source média référencée est manquante et doit être réintégrée.

En atteignant 709 millions d'euros, le chiffre d'affaires export du livre français en 2023 affiche une hausse de 2,1 % par rapport à 2022. Un rebond encourageant lorsqu'on le compare à celui de l'année 2019 (666,80 M€). Quatrième langue sur Internet derrière l'anglais, le russe et l'espagnol, le français a un beau potentiel mais reste tributaire des crises économiques et politiques. L'Algérie, en conflit diplomatique avec la France, a ainsi réduit de 70 % ses importations de livres en dix ans. La Belgique, la Suisse et le Canada conservent le podium des exportations, mais des zones entières ont disparu de la carte historique du livre francophone en cinq à six ans. L'Amérique latine a été la plus pénalisée par la crise du Covid et les trois premiers importateurs brésiliens historiques ont fait faillite entre 2018 et 2022. Avec une classe moyenne lisant beaucoup et très attachée au français, le Liban était un eldorado pour les éditeurs français. Les crises politiques et financières et la catastrophe du port de Beyrouth l'ont érodé depuis 2020. La littérature de loisir a été écrasée et réservée à l'élite, les importations se limitent au scolaire et parascolaire. L'Égypte subit une crise de même niveau. À Haïti, en pleine guerre civile, les libraires font faillite. Enfin, les pays du Sahel (Mali, Niger, République centrafricaine, Tchad, Burkina Faso) n'ont plus les moyens financiers et logistiques d'importer.

Raccourcir les circuits

« En francophonie du Sud, les livres français sont vendus à des prix décorrélés du niveau de vie local et représentent parfois 30 % du revenu mensuel moyen », explique Ondine Cotto, chargée d'action territoriale et internationale au Centre national du livre (CNL). La cession de droits français-français est un moyen de pallier ce problème et les institutions l'encouragent de plus en plus. L'impression locale résout le problème de disparité de pouvoir d'achat, en particulier en Afrique. Elle est également plus écologique, et réduit les délais d'approvisionnement. « Les éditeurs francophones sollicitaient depuis longtemps le CNL pour être éligibles à nos aides, confie Ondine Cotto, mais l'un de nos critères, un catalogue diffusé dans les librairies du territoire français, excluait de fait la majorité des maisons implantées à l'étranger. » Le CNL vient de créer un dispositif spécifique pour l'Afrique, l'océan Indien, les Caraïbes et le Liban : en cas de cession de droits français-français, il prend en charge jusqu'à 70 % des frais de publication et de cession dans la limite de 15 000 €. De son côté, l'Institut français a créé le PAP, Programme d'aide à la publication, prenant en charge les frais de cession.

Ces cessions français-français progressent mais restent marginales (205 contrats signés en 2023, selon le Syndicat national de l'édition). Les éditeurs français craignent le piratage et des tirages incontrôlés échappant au droit d'auteur, explique Laurence Hugues, de l'Alliance internationale de l'édition indépendante (AIEI), et certaines maisons françaises refusent de céder leurs titres parce que le service export estime qu'il y aura un manque à gagner. La méconnaissance entre les acteurs et la difficulté à tisser des liens de confiance sont d'autres freins. « La relation est déséquilibrée, très peu équitable, entre l'édition française et le reste de la francophonie. Une certaine prédation, en particulier sur le marché scolaire, a grippé les échanges. Car, à l'inverse, des éditeurs étrangers aimeraient être distribués en France. »

Un monde globalisé

Les grands auteurs francophones publiés en France sont mis en avant dans leurs pays d'origine, mais ils sont pénalisés par la disparité du pouvoir d'achat. Pour Sabine Wespieser, la francophonie politique s'est dessinée sur l'exportation de ce vieux modèle, avec Paris au centre, ce qui agace souvent les acteurs locaux. « On est dans un monde globalisé, où la diversité culturelle est mise en avant, mais il y a encore peu de temps, les éditeurs corrigeaient les expressions québécoises pour lisser la langue. » Elle se dit frappée de la différence avec le marché anglophone, où « personne ne met de note de bas de page ou ne corrige les idiomatismes locaux ». Ce sont ces différences de style et de forme qui l'incitent à publier des auteurs francophones venus de tous les continents. « J'ai toujours été intéressée par ceux qui écrivent avec ce double imaginaire. On n'écrit pas de la même manière à Paris ou dans les Hautes-Alpes ; le corps vit, il se passe quelque chose dans la manière dont la langue est filtrée et l'imaginaire est nourri d'un autre quotidien. »

Et les grands pôles à l'Est ? Malgré leur masse démographique et de grandes voix francophones, la Russie, l'Inde et la Chine pèsent très peu et les accords signés avec des groupes d'édition sont rares, la cession de droits pure restant plus simple. Dubaï et le golfe Persique montent, grâce à une présence française de plus en plus importante et à l'implantation du Louvre. La preuve que le livre ne peut se développer seul, pour Olivier Aristide, car il y a dix ans, la zone était totalement fermée. Au 1er semestre 2024, les ministères des Affaires étrangères et de la Culture ont organisé une série de réunions avec les acteurs du livre pour coordonner leurs actions. « La littérature est un soft power et la francophonie doit utiliser cette carte », estime le directeur de la Centrale de l'édition.

01.10 2024

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