Antoine Gallimard & Nicolas Roche

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Rencontre avec Antoine Gallimard et Frédéric Lavabre dans le bureau d'Antoine Gallimard - Antoine Gallimard et Frédéric Lavabre - Antoine Gallimard et Frédéric Lavabre- Photo OLIVIER DION -

À l'occasion du Sommet de la francophonie, et du festival qui l'accompagne, Livres hebdo a rencontré Antoine Gallimard, président du BIEF (Bureau international de l'édition française), et son directeur général Nicolas Roche, qui y organisent les Rendez-vous du livre francophone, du 1er au 3octobre prochains.

Qu'est-ce que les éditeurs français peuvent attendre de ce sommet de la francophonie ?

Antoine Gallimard : Si l'on regarde l'usage et le développement du français, tout n'est pas rose et simple. Sur 320millions de locuteurs dans le monde, 250 parlent le français tous les jours, mais seule la moitié d'entre eux est capable de lire un livre en français. Ce n'est pas parce que l'on va célébrer la francophonie que le français va se déployer. Et son apprentissage est en baisse... De nombreux pays qui étaient très francophones ne le sont plus. En Italie, les jeunes ne parlent plus français. En Égypte, en Grèce, c'est pareil. Dans des pays comme l'Algérie, des décisions politiques bloquent et censurent les livres en français. Alors que les ambassades et les Instituts français n'ont plus toujours les budgets pour animer la vie littéraire ou inviter des auteurs. Il y a déjà eu des sommets de ce type et, contrairement à ce que l'on pourrait espérer, la culture est loin d'être au cœur des débats. Je ne crois pas beaucoup aux grosses opérations qui brassent tous les arts, mais plutôt à celles qui sont précises, ciblées.

Pourtant, le BIEF est partenaire du festival qui accompagne le sommet, et y organise les Rendez-vous du livre francophone.

AG : Le BIEF, qui a fêté ses 150 ans en 2023, est un outil fonctionnel qui donne les clefs de l'édition française à tout le monde, éditeurs français comme étrangers. Je n'en suis que le porte-drapeau et j'en suis très heureux. Nous avons voulu que les éditeurs francophones puissent être aidés, qu'ils aient la meilleure information et perception du marché français et de ses acteurs. On leur a ouvert le Paris Book Market pour leur donner accès au marché international et qu'ils puissent tisser des liens.

Nicolas Roche : Cela se fait notamment à travers des programmes de fellowship dédiés aux éditeurs de littérature, de sciences humaines, de jeunesse ou de bande dessinée. Depuis quatre ans, ils accueillent entre 10 et 15 éditeurs francophones chaque année. On introduit ainsi auprès des éditeurs français des partenaires de confiance avec lesquels ils vont pouvoir tisser des partenariats éditoriaux.

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Nicolas Roche- Photo OLIVIER DION

Lors des Rendez-vous du livre francophone, nous espérons des échanges riches, nourris par les expériences très pratiques qui ont pu être menées. Les intervenants sont issus de treize pays des Caraïbes, du Maghreb, d'Afrique centrale et de l'Ouest, d'Asie (la Thaïlande par exemple). Création, promotion, prix littéraires, festivals, livres audios, numériques, cessions de droit... Nous voulons donner la parole à celles et ceux qui dynamisent les échanges du Nord au Sud, du Sud au Nord et du Sud au Sud.

Quel regard portez-vous sur le marché du livre francophone ?

AG : La francophonie est avant tout un marché d'export pour les éditeurs français. Les pouvoirs publics aident au transport, mais les livres sont chers, et les éditions spéciales pour l'étranger risquent d'alimenter les marchés parallèles. Ce sont donc avant tout des marchés de poche, mais que nous alimentons. La solution serait d'imprimer sur place, à la demande. Mais les frais fixes sont importants pour des tirages qui se comptent en dizaine d'exemplaires.

 

NR : La francophonie n'a rien d'homogène. On ne peut même pas raisonner par zone géographique. Il faut regarder pays par pays, voire éditeur par éditeur. C'est une véritable mosaïque, un paysage parcellisé.

Il existe néanmoins des marchés plus florissants comme le Québec ou la Suisse.

AG : Le Québec est isolationniste et applique des mesures très protectionnistes. Ce sont les éditeurs québécois qui sont aidés, notamment à travers des contrats avec les bibliothèques. Notre part de marché se réduit régulièrement... Les livres français ont représenté plus de 80 % du marché, aujourd'hui, c'est 60 %. Avec la Suisse, il y a une vraie discussion sur la tabelle que nous appliquons sur nos tarifs. Les gouvernements cantonaux réfléchissent à une nouvelle réglementation. Alors qu'en Belgique, ça fonctionne bien, car nous traitons ce marché quasiment comme s'il s'agissait d'une région française. Au Maghreb, le Maroc tient le coup. En Algérie, les exportations ont baissé de 70 % depuis le Covid. Et les éditeurs du Maghreb connaissent les pires difficultés pour exporter leurs livres.

 

NR : Un ouvrage d'auteur algérien ne voyage pas au Maroc et très difficilement en Tunisie. Et c'est également vrai en Afrique centrale et en Afrique de l'Ouest, même entre pays limitrophes. À la fin des années 1980, il y avait 70 librairies à Casablanca. Aujourd'hui, il n'y en a plus que 15. En Algérie, on ne compte qu'une quarantaine de librairies. Il y a des enjeux de diffusion et de distribution, mais aussi une question d'éducation. Des livres prescrits à l'école peuvent générer des ventes pour les éditeurs. Il y a tout un écosystème à développer. Mais cela nécessite une volonté des pouvoirs publics locaux d'avoir une véritable politique du livre.

Cela renvoie à la question de savoir ce qu'est la francophonie. Pour les Français, c'est souvent un moyen de faire rayonner la culture française. Alors que les autres pays francophones souhaitent un échange d'égal à égal dans une langue que l'on a en partage.

AG : Bien des pays francophones nous reprochent une politique colonialiste - disons le mot puisqu'il a été prononcé. Et il est vrai que le nom même de « francophonie » implique sans doute trop que la France serait au centre. Alors qu'il est aujourd'hui très difficile pour un étudiant algérien d'avoir un visa français. Les frontières sont tellement fermées. Il faut ouvrir nos entreprises à de jeunes étrangers, les faire travailler dans nos maisons. Je serais prêt à accueillir des Algériens ici, mais il n'y a pas d'accord.

 

NR : Accueillir des éditeurs étrangers dans les maisons afin qu'ils comprennent nos pratiques est une piste qu'il faut explorer. Cela fait une quinzaine d'années que l'on multiplie les actions et les formations pour les éditeurs et les libraires francophones. On est notamment présents dans les salons du Maghreb. Nous savons mettre en réseau les professionnels de la francophonie grâce à des relais dans ces pays.

 

AG : Le français ne se répand pas. Internet semblait représenter une opportunité, mais les manuels en ligne, ou le livre audio, ne pallient pas l'absence de librairies et d'ouvrages de qualité ! Je crois plus à des opérations comme Les petits champions de la lecture. Un concours ouvert aux élèves de CM1 et CM2, d'abord en France, puis dans les Drom, en Europe et demain dans le monde entier. Via le réseau de l'Association d'enseignement du français à l'étranger, on touche des enfants qui choisissent eux-mêmes des ouvrages écrits en français. Les choix du Goncourt sont un autre exemple. Les Instituts français sont très engagés dans ce type d'opérations. On travaille ensemble, main dans la main.

Propos recueillis par Jacques Braunstein

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