Carol Mann n'est pas une historienne de la Shoah mais elle a travaillé sur l'expérience féminine dans les zones de guerre actuelles. Forte de cette expertise sur le terrain d'aujourd'hui, elle a cherché à comprendre ce qui s'était passé hier pour ces femmes juives sous Vichy et voir s'il y avait des récurrences lorsqu'un groupe social est menacé d'anéantissement. Pour cela, pendant huit ans, elle s'est documentée. Elle a notamment consulté le fonds du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) qui conserve les quelque 3 500 lettres et messages envoyés par ces familles qui partaient pour une « destination inconnue ».

Convaincue que la guerre est une histoire d'hommes qui fait souffrir les femmes, d'autant qu'on célèbre rarement leur héroïsme, cette sociologue (université de Paris-8) s'est spécialisée dans le conflit armé, une thématique qu'elle a enseignée à Paris, à Kaboul et à Kisangani. Avec cette nouvelle étude impeccable de clarté, elle poursuit le remarquable travail de Femmes dans la guerre 1914-1945 (Pygmalion, 2010).

De la Première à la Seconde Guerre mondiale, Carol Mann observe que dans les pires situations les préoccupations masculines et féminines diffèrent, principalement sur la sécurité de leurs proches et sur l'assurance de la continuité de la vie quotidienne et des pratiques religieuses. Elle explique aussi la différence entre les israélites - les Juifs intégrés dans la République française - et les immigrés de l'Est qui fuient le nazisme avec leurs baluchons de misères, les deux catégories finissant par se rejoindre dans l'oppression par Vichy.

Les femmes aussi donc, peut-être même un peu plus que les hommes comme le montrent les exemples de familles bouleversées par la haine d'État, ces familles qu'il faut bien continuer de faire vivre, quand on a perdu son emploi parce que juive, quand on doit s'occuper les enfants quand les pères sont partis, quand on craint les rafles, les persécutions et les viols, quand il faut enfin croire encore à la possibilité de se revoir, de s'aimer et de recommencer une vie lorsqu'on jette du wagon qui part de Drancy un petit bout de papier comme une bouteille dans une mer déchaînée. Tout cela se comprend ici comme une tragique évidence.