Ils sont quatre, quelque part dans ce sud des Etats-Unis qui n'a jamais vraiment cru qu'à la colère de Dieu. Ils attendent la mort. Depuis toujours, c'est-à-dire depuis ce matin d'octobre 1989 où dans un motel de la banlieue d'Atlanta on retrouva les corps sans vie, atrocement mutilés, d'un père, d'une mère et de leurs deux enfants. De ce jour, les quatre personnages - l'assassin, celui avec qui on faillit le confondre, le père et grand-père des victimes et la gérante du motel que le meurtrier mystérieusement épargna -, ceux qui croient encore en Dieu comme ceux qui n'osent plus espérer en l'Amérique, savent que la fin du monde, du leur au moins, patiente toujours au coin de la rue.
Les derniers jours de Smokey Nelson est le dernier roman (et sans doute le plus ambitieux) de Catherine Mavrikakis, cette romancière canadienne née aux Etats-Unis d'une mère française et d'un père grec, très prolifique en son pays, et dont on doit la découverte en France à Sabine Wespieser lors de la publication en 2009 du très beau Ciel de Bay City. C'est une vraie et paradoxale réussite. Le problème avec les grands sujets (ici, la peine de mort, encore appliquée dans trente-quatre Etats aux USA) en littérature, c'est qu'on ne peut les affronter que frontalement, au risque, qu'il faut savoir assumer, de la caricature ou de la naïveté. Mavrikakis, mettant ses pas dans ceux du Capote de De sang-froid ou plus encore dans ceux du Mailer du Chant du bourreau, s'y emploie avec une belle audace. Elle sait qu'il n'est de cause dans un roman qui ne passe d'abord par l'incarnation. On n'oubliera aucun de ses quatre personnages, moins peut-être Smokey Nelson, l'assassin qui patiente au fond du couloir de la mort, que chacun des trois autres qui à leur façon, et sans vraiment se l'avouer, font de même. Dans la peine de mort, Catherine Mavrikakis retient la peine ou encore le chagrin et nous livre une variation habitée et lyrique autour de la mort, son unique sujet (après les juifs suppliciés du Ciel de Bay City, les soldats morts d'Omaha Beach, non encore publié en France). On ne lui en voudra pas de croire que le roman puisse encore servir à dire le monde, y compris quand il s'en va.