Les maisons redécouvriraient-elles les vertus des pamphlets du xviiie siècle ? Depuis 2019, et la création de « Tracts » par Gallimard, pas moins de 11 collections dédiées à des essais et documents au format court ont été lancées. Sans compter les titres, difficiles à recenser, qui fleurissent hors collection comme ceux, « petits mais costauds », publiés chez Anamosa depuis 2021.
Leur particularité ? Ils sont « trop longs pour être un article, trop courts pour être un essai », comme le pointait Jean-François Colosimo, directeur du Cerf qui a créé « Placards et libelles », auprès de Télérama il y a trois ans. Ces textes s'expriment sur 50 à 150 pages et sont proposés à petit prix (entre 2,50 et 11,50 euros).
Ces formats entendent renouer avec une tradition d'écriture engagée. En témoignent les titres de certaines collections et le champ lexical qui se déploie autour d'elles. Quand 10-18 promet par exemple des titres « didactiques et engagés » avec « Amorce », Le Rocher propose des « boîtes à outils rhétoriques » - mais non sans humour - avec « L'art d'avoir toujours raison... sur tout ».
Dimension politique
« Le format court possède un vrai sens politique et militant », assure Lorraine Selle-Delavaud, fondatrice de La Meute et de la collection « Permis de déconstruire ». « À l'heure où le livre est entré dans la bataille culturelle, ces collections sont une manière de démocratiser le savoir et de redonner au livre sa dimension citoyenne », abonde Laure-Hélène Accaoui, directrice littéraire chez Payot (« Résistance »).
En donnant des arguments rapides à lire et en faisant preuve d'une grande réactivité éditoriale, les maisons affichent leurs ambitions. Gallimard entend « nourrir le débat public à travers un médium sérieux et percutant », comme nous l'expliquait en 2023 Sophie Kucoyanis, alors responsable des labels Folio Essais, Histoire, Tel et Actuel.
Laure-Hélène Accaoui, éditrice chez Payot- Photo OLIVIER DIONPour télécharger ce document, vous devez d'abord acheter l'article correspondant.
Fayard, avec sa « Pensée libre » lancée en octobre avec quatre titres, nourrit l'ambition de « devenir l'antichambre des idées de demain ». « Réaffirmer la capacité des sciences sociales à dire le monde » est l'ambition de « Brèches », dont Armand Colin a publié les deux premiers titres en octobre également, explique sa directrice générale Anne-Laurence Monéger.
Accessibilité
Ces formes courtes visent à rendre la pensée accessible. En répondant à la fois à la problématique du pouvoir d'achat du lectorat - « tout le monde n'a pas vingt euros à dépenser dans un livre », pointe Laure-Hélène Accaoui - et à l'économie de l'attention. Dans une époque où le rapport à la lecture évolue, les maisons espèrent séduire de nouveaux publics. « Ces formats permettent de se sentir légitime à lire un ouvrage estampillé sciences humaines et sociales », estime l'éditrice de Payot.
« Sans amoindrir la qualité intellectuelle, le format court peut représenter une porte d'entrée vers d'autres titres sur le même thème », souligne Sylvain Bertrand, responsable éditorial des Éditions du commun. L'éditeur prépare pour 2026 le lancement d'« Une autre histoire de... » visant à « mettre en lumière des pratiques populaires sur lesquelles l'histoire officielle a oublié les marges ». Par leur forme, leur prix ou leur ton, ces formats semblent séduire : plus de 2,44 millions d'exemplaires ont été vendus tous titres confondus.
Meilleure vente de ce rayon spécifique, Résister de Salomé Saqué (« Résistance »/Payot, 2024) s'est écoulé à plus de 366 000 exemplaires selon les données de GFK. Derrière la journaliste, De la démocratie en pandémie de Barbara Stiegler (2021) et Le goût du vrai d'Étienne Klein (2020) publiés dans « Tracts »/Gallimard referment le podium avec, respectivement, plus de 103 000 et 89 000 exemplaires vendus. Preuve que le pamphlet, loin d'être un genre révolu, retrouve toute sa pertinence dans le paysage éditorial.
Les essais courts en chiffres
- 11 : Le nombre de collections dédiées aux essais et documents en format court lancées entre 2019 et 2025
- 210 : Le nombre d'ouvrages publiés au sein de ces collections à fin octobre 2025
- 2 444 340 : Le nombre total d'exemplaires vendus selon les données GFK
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Les essais courts en dates
- Février 2019 : « Tracts » (Gallimard)
- Décembre 2020 : « Imprimés d'AOC »
- Octobre 2021 : « Placards & libelles » (Le Cerf, dernière parution en 2022)
- 2022 : « Libelle » (Le Seuil, janvier), « Amorce » (10-18, mars, dernière parution en 2024)
- Janvier 2023 : « ALT » (La Martinière Jeunesse)
- Octobre 2024 : « Résistance » (Payot)
- 2025 : « Permis de déconstruire » (La Meute, mars), « Brèches » (Armand Colin, octobre), « Pensée libre » (Fayard, octobre), « L'art d'avoir toujours raison... sur tout » (Le Rocher, novembre)
- 2026 : « Une autre histoire de... » (Éditions du commun)
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