15 janvier > Roman Uruguay

Quand on consulte le site de Pablo Casacuberta, Uruguayen de 45 ans traduit pour la première fois en français par les éditions Métailié, on se demande quelles disciplines il n’a pas touchées : peinture, photographie, vidéo - du commercial à l’expérimental - et même musique… Avec cinq romans à son actif, l’écriture n’est pas non plus pour lui une activité périphérique puisque l’auteur avait été distingué, il y a quelques années déjà, parmi les écrivains latino-américains de moins de 40 ans les plus prometteurs. La lecture de Scipion, roman dense, enlevé et très enthousiasmant, montre que cet hommage est largement mérité.

Anibal, le narrateur, 38 ans, a reçu de son père, "le gigantesque professeur Brenner", célèbre historien spécialiste de l’Antiquité, ce prénom de héros, en référence au Carthaginois Hannibal Barca (247-183 av. J.-C.) - celui des éléphants dans les guerres puniques… Hannibal qui a fini "borgne, humilié et seul" après que Scipion, le proconsul romain, a vaincu et soumis Carthage en l’an 202. Pas facile de porter un prénom pareil… Deux ans après la mort de son géniteur dont les biens considérables sont gérés par une fondation, le fils en pleine déchéance - professeur d’histoire, lui aussi, il a quitté l’Université, vivote misérablement dans une pension minable, boit - a accès à un étrange legs. "Dans la penderie de la chambre jouxtant la bibliothèque, je laisse pour Anibal trois boîtes contenant des éléments que j’ai jugés pertinents pour son développement", a énigmatiquement écrit le père. Entre autres affaires chargées de symboles qui seront malicieusement dévoilées au fur et à mesure du récit, le fils trouve, dissimulée dans l’édition abrégée d’Histoire du déclin et de la chute de l’Empire romain, la somme de Gibbon qu’il n’a jamais pu lire au-delà des vingt premières pages, d’inédites dispositions testamentaires, elles-mêmes assorties de conditions très contraignantes. Voilà notre contre-héros précipité malgré lui dans une sorte de jeu de piste que le narrateur interprète d’abord, non sans une excessive et souvent risible paranoïa, comme une ultime manipulation perverse de son père. La poursuite post mortem de ce que le fils vit comme une entreprise de lamination systématique subie depuis l’enfance. Pourtant, les dispositions de ce testament empoisonné vont finir par éclairer ce père et la relation filiale sous un jour nouveau, plus ambivalent, plus riche de nuances. Les ruminations intérieures que Casacuberta rend avec un sens aigu de la tragi-comédie viennent nuancer au fil du roman l’amertume des attentes déçues pour livrer des cadeaux différés inattendus. V. R.

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