Pour évoquer les « fake news » chères à Donald Trump, le Journal officiel recommande désormais l'utilisation du mot « infox » forgé à partir des mots « information » et « intoxication ». Il est défini comme une information « mensongère ou délibérément biaisée », destinée à « défavoriser un parti politique, entacher la réputation d'une personnalité ou d'une entreprise ou contrer une vérité scientifique établie ». Un autre mot rassemble ces caractéristiques : propagande.
Dans ce livre didactique et documenté, David Colon (Science po-Paris) nous en fait l'histoire. Il souligne que cette pratique, souvent associée aux régimes autoritaires, est aussi utilisée par les démocraties. A l'origine, le terme s'applique à la religion. Il remonte à 1622 avec la création par l'Eglise catholique romaine de la Congregatio de Propaganda Fide (Congrégation pour la propagation de la foi). A partir du XIXe siècle avec les études de Gustave Le Bon et Gabriel Tarde sur les foules et les débuts de la psychologie sociale, le terme bascule dans le champ politique.
Le « viol des foules par la propagande politique » (1939), pour reprendre le titre du livre de Serge Tchakhotine consacré au nazisme, n'est pas nouveau. Procope de Césarée manipulait déjà l'histoire en distillant des calomnies sur le règne de Justinien et de l'impératrice Théodora. Plus près de nous, en 1792, le ministère de l'Intérieur s'est vu doté d'un « bureau de la correspondance relative à la formation et à la propagation de l'esprit public » pour diffuser les idées révolutionnaires.
David Colon opère alors un glissement sémantique entre la propagande, qui se construit sur un grand mythe et définit un ennemi pour entraîner l'adhésion du groupe, et la manipulation, faite de sondages, de publicité et d'incitations. Du pouvoir politique nous passions à celui du capital. C'est aux Etats-Unis que la propagande devient une « science » sous le nom de « relations publiques ». On fait acheter des
robots ménagers aux femmes pour soi-disant les libérer ou on les incite à fumer. La consommation est envisagée comme un acte de dépolitisation massive, ce qui la différencie de la vraie propagande. Le laboratoire de la fabrique de l'opinion propose des sondages qui posent des questions que les gens ne se posent pas et les journaux débattent de sujets qui le plus souvent ne s'imposent pas. C'est l'art de la diversion ou, comme disait Paul Valéry, « l'art d'empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde ».
David Colon reprend à son compte l'analyse de Jacques Ellul, qui considérait que les sociétés individualistes de masse, totalitaires ou non, étaient un terreau privilégié pour la propagande et qu'elles dépendaient des techniques de communication. Désormais, le smartphone permet de s'adresser aux individus dans la masse. Facebook, qui n'était à l'origine qu'un moyen de draguer entre étudiants, devient le principal émetteur d'informations dans le monde. Il aboutit à ce que Gérald Bronner nomme « la démocratie des crédules ». En 1983, Gilles Lipovetsky annonçait l'ère du vide. Pour David Colon, il semble que nous soyons entrés dans celle du mensonge.
Propagande : la manipulation de masse dans le monde contemporain
Belin
Tirage: 1 900 ex.
Prix: 25 euros ; 384 p.
ISBN: 9782410015782