Bande dessinée

L’employé du moi fête 25 ans de BD libre et alternative

Equipe de L'employé du moi, de gauche à droite : Nelle Cernero, Philippe Vanderheyden, Max de Radiguès, Sacha Goerg, Stéphane Noël et Matthias Rozes. - Photo L'employé du moi

L’employé du moi fête 25 ans de BD libre et alternative

Née à Bruxelles au début des années 2000, la maison d’édition L’employé du moi fête ses 25 ans. L'occasion de revenir sur les origines d'une entité qui a su s'imposer comme un pilier de la BD alternative, grâce à une ligne éditoriale libre, engagée et subversive.

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Par Élodie Carreira
Créé le 02.05.2025 à 14h00

Elles font partie des structures les plus historiques de la bande dessinée alternative à Bruxelles. Fondées au tournant des années 2000, les éditions L’employé du moi célèbrent aujourd’hui leurs 25 ans d’existence. De ses premiers pas sous la forme d’un fanzine à tendance autofictionnelle à sa consécration au festival d’Angoulême en 2025, la maison n’a eu de cesse de prouver son engagement en faveur d’une création libre et audacieuse.

Évidemment, à l’époque, rien ne laisse présager un tel succès. Comme de nombreux étudiants d’écoles d’art avant eux, des amis, parmi lesquels David Libens, Cédric Manche ou encore Bert, se regroupent en un collectif artistique. Chaque semaine, ils réalisent un fanzine baptisé Le Spon. Distribué de main en main, l’objet parvient à se faire connaître, permettant à ses auteurs d’obtenir un stand à l’espace fanzine du 27e festival d’Angoulême.

Naissance d'une maison d'auteurs

C’est là que Le Comptoir des indépendants, structure de distribution-diffusion balbutiante, les repère. En franchissant le cap de la professionnalisation, le collectif se transforme en maison d’édition et choisit comme nom de baptême L’employé du moi. « C’était une sorte de blague potache. À l’époque, tous les auteurs de la maison devaient avoir un boulot alimentaire pour se nourrir et payer leur loyer puisque la BD ne payait pas », raconte Matthias Rozes, éditeur arrivé en 2011 et qui fait désormais partie des six membres du comité actuel.

Historiquement tourné vers des histoires autobiographiques ou autofictionnelles, le catalogue de la maison s’ouvre progressivement à d’autres récits, plutôt de genre. Une mutation qui s’est intensifiée avec la curiosité naissante de la maison pour les productions internationales. « En 2008, un des membres de l’équipe, Max de Radiguès, est parti faire de la résistance aux États-Unis », ironise Matthias Rozes, citant Phase 7, anthologie des strips autoédités de l’Américain Alec Longstreth, première acquisition de la maison.

En 2013, ce déploiement hors-les-murs s’accélère avec la traduction de The End of the Fucking World de Charles Forsman. Quatre ans plus tard, l’œuvre est transposée par Charles Covell en une série télévisée à succès, diffusée à partir de 2018 sur la plateforme Netflix. Si, depuis, L’employé du moi a intégré des œuvres venues d’Allemagne, de Chine ou des pays nordiques, la création francophone reste toutefois la grande ligne de force du catalogue.

Des plumes qui bouleversent les genres

Preuve en est avec l’une des étoiles montantes de la BD contemporaine, Lisa Blumen, repérée avec un premier album pré-apocalyptique, Avant l’oubli (2021), auquel succède une nouvelle aventure spatiale, Astra Nova (2023). Multi-primés, ces deux titres détournent le genre de la science-fiction, mis au service d’une humanité introspective. Et le résultat est bien là. Lauréat du prix de la BD SF, Astra Nova est aussi la meilleure vente de la maison, avec près de 8 000 exemplaires écoulés.

« Nous avons de la chance parce que cette autrice a été sollicitée par de grosses structures éditoriales, mais a décidé de rester chez nous », ajoute Matthias Roze, nous mettant dans la confidence d’un troisième album, « un thriller psychologique sur les coulisses de la vie d’une influenceuse beauté ». Intitulé Sangliers, celui-ci paraîtra fin mai prochain.

L'employé du moi couvertures
"Les Contes de la mansarde" d'Elizabeth Holleville et Iris Pouy ; "Astra Nova" de Lisa Blumen.- Photo L'EMPLOYÉ DU MOI

Mais Lisa Blumen n’est pas la seule à avoir contribué à la plus grande visibilité de la maison. En 2023, Pierre Maurel se taillait déjà une place dans la sélection officielle d’Angoulême. Une ascension imitée, cette année, par Elizabeth Holleville et Iris Pouy, autrices des Contes de la mansarde. Mêlant horreur et critique sociale, la bande dessinée a obtenu deux prix, dont le Fauve des lycéens, offrant à la maison son tout premier prestige. Et surtout, un « beau signe de reconnaissance » pour une structure qui ne publie que cinq à une dizaine de titres par an.

Célébrer le collectif et la création

« Il faut savoir que, jusqu’à il y a trois ans, L’employé du moi ne comptait que sur l’énergie bénévole de son équipe », rappelle Matthias Rozes. Seul salarié aux manettes de l’intendance quotidienne, l’éditeur est toutefois entouré de cinq autres acteurs, membres d’un comité éditorial au fonctionnement horizontal, sur lesquels il a pu compter pour l’élaboration de la programmation des 25 ans de la maison.

Dès le mois de mars, L’employé du moi a ainsi bénéficié d’une exposition réflexive au Musée de la BD de Bruxelles, qui se terminera en septembre. Intitulée « Ping-Pong Club », celle-ci donne à voir plus de 150 planches qui traduisent le processus collectif de chaque œuvre, reflétant les quatre grands fils rouges de la ligne éditoriale de la maison : l’intimité, le politique, le passage de l’enfance à l’âge adulte et le renouvellement des genres.

L'employé du moi affiche
Affiche pour les 25 ans de L'employé du moi- Photo L'EMPLOYÉ DU MOI

Pour accompagner l’exposition, la maison a également décidé de lancer la collection « Ping-Pong », où des titres phares, mais épuisés, tels que The End of the Fucking World, Le Soleil des Mages de Mortis Ghost, ou encore Monsters de Ken Dahl, bénéficient d’une réédition dans une maquette mieux identifiable par les libraires.

Enfin, fin novembre prochain, la maison célébrera en grande pompe son anniversaire aux côtés de la maison-amie Çà et là, qui fête, elle, ses 20 ans. Trois jours de rencontres, de dédicaces, mais surtout, de festivités, se tiendront à la librairie Entrée libre à Montpellier. Une façon de maintenir l’optimisme des troupes dans un contexte « où il devient de plus en plus compliqué de faire des livres, surtout lorsqu’on est petits ». Mais pour Matthias Rozes, une chose est certaine : « Si nous arrivons à passer cette nouvelle année, c’est que nous arriverons à durer encore longtemps ».

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