S’ils ont tous le même cadre, les romans de Ron Rash diffusent à chaque fois une musique bien différente. Après Un pied au paradis (Le Masque 2009, repris au Livre de poche), Serena (Le Masque 2011, repris au Livre de poche) et Le monde à l’endroit (Seuil 2012, repris en Points), l’écrivain de Caroline du Nord surprend encore avec Une terre d’ombre.
Un opus lancinant qui entraîne le lecteur dans un vallon, au milieu de montagnes sauvages. Hank et Laurel Shelton sont frères et sœurs. Les deux héros de Rash ont perdu leurs parents et partagent une maison en rondins. Hank est rentré vivant de France, où il a participé à la Première Guerre, mais avec une main en moins. Il est presque fiancé à Carolyn Weatherbee qui habite avec son père dans une ferme à cinq kilomètres de chez eux.
Opiniâtre, courageux, Hank dit qu’il en a « assez de surmonter », qu’il l’a fait toute sa vie. Jolie malgré sa tache de naissance, Laurel, elle, s’occupe des activités ménagères, ramasse les œufs, donne à manger aux poules. Elle a appris de longue date à se méfier des vipères cuivrées et des champignons vénéneux qu’on trouve près de la rivière. Mlle Calicut, sa maîtresse d’école, la croyait capable de partir d’ici, de devenir institutrice. Si elle a perdu sa virginité avec Jubel Parton, le fils du propriétaire d’un magasin d’articles de chasse et de pêche, Laurel attend toujours que sa vie commence vraiment.
Cela pourrait désormais être le cas. Depuis qu’elle a entendu un inconnu aux vêtements miteux jouer d’une flûte en argent, le dos contre un arbre et les yeux clos. L’homme en question vient de New York. Il se nomme Walter Smith, ne peut parler, ne sait ni lire ni écrire, et va être recueilli par les Shelton…
Ron Rash joue parfaitement sur les silences, les attentes. Avec la nature, les sentiments et les ressentiments. Magnifiquement composé et orchestré, Une terre d’ombre montre qu’il est décidément l’un des plus doués et des plus attachants prosateurs américains du moment. Al. F.