Poésie/Turquie 20 septembre Nâzim Hikmet

Considéré par les connaisseurs comme un texte majeur de Nâzim Hikmet (1901-1963), le plus important et le plus contestataire des écrivains turcs modernes, attitude que ce communiste a payée au prix fort, par la prison et l'exil - il a vécu plusieurs fois à Moscou, où il est mort -, Lettres à Taranta-Babu est paru en Turquie en 1935. En français, seuls quelques extraits avaient été traduits en 1936, pour la revue Commune, dirigée par Louis Aragon, ami du poète. Il s'agit donc d'un inédit, et d'un réel événement, étant donné l'envergure de l'auteur et le sujet du livre.

Dans un avant-propos assez abracadabrantesque, Nâzim Hikmet prétend que le texte lui est parvenu d'un sien ami italien spécialiste des langues africaines, retrouvé par lui dans la chambre d'un jeune étudiant abyssinien raflé et fusillé par la Sûreté fasciste. Nous sommes en 1935, et Mussolini tient sous sa botte cirée depuis 1925 une Italie qu'il a lancée dans une absurde aventure coloniale (d'abord en Somalie, puis en Ethiopie), avant de la précipiter bientôt dans une autre guerre, aux côtés d'Hitler et des nazis. Cet Italien aurait retrouvé les lettres adressées à sa jeune épouse, Taranta-Babu, par le malheureux, les aurait traduites de l'amharique et envoyées à Nâzim Hikmet, empêché de les publier lui-même par la censure.

Car, sous forme de treize poèmes, où l'amour a bien sûr sa place, il est surtout question de politique. L'Abyssinien érudit raconte à son épouse l'histoire de Rome, depuis l'Antiquité, avec de plus en plus d'évocations de l'actualité, puisqu'on est en 1935, au moment même où l'armée de Badoglio, avec ses 200 000 hommes et ses 500 pilotes, s'apprête à envahir l'Ethiopie. « Ils arrivent », prévient l'auteur dans sa douzième lettre. Et en effet, les Italiens chasseront le négus Haïlé Sélassié de son trône, abandonné par la communauté internationale, commettront les pires atrocités, avant d'être à leur tour délogés, en 1941, par les Anglais. Un épisode bien peu glorieux de l'histoire italienne, pas encore vraiment assumé aujourd'hui.

Nâzim Hikmet le combattant, surnommé le « Turc errant » à cause de ses exils, a beau jeu de se servir de cette histoire pour dénoncer, outre le fascisme, les dictatures en général, en particulier celle qui régnera toujours plus ou moins dans son pays. Aujourd'hui, sous Erdo?an, il serait évidemment de nouveau emprisonné. Il est dommage, en revanche, qu'il n'ait pas fait preuve d'autant de lucidité vis-à-vis de Staline et des Soviets.

Nâz?m Hikmet
Lettres à Taranta-Babu - Traduit du turc par Timur Muhiddin
Éditions Emmanuelle Collas
Tirage: 2 300 ex.
Prix: 12 euros ; 96 p.
ISBN: 9782490155132

Les dernières
actualités