Les parties d’échecs ont inspiré plus d’un écrivain. De Borges à Stefan Zweig, elles jalonnent la littérature en évoquant bien plus que deux cerveaux qui s’affrontent. La stratégie, la psychologie, le sang-froid et une intelligence redoutable sont requis. Or un jeu aussi subtil ne peut qu’être symbolique.
Critique littéraire, Ariel Magnus voit le jour à Buenos Aires, en 1975. Il n’a hélas pas connu son grand-père, mais celui-ci ressurgit dans le journal intime qu’il a laissé à la postérité. L’écriture étant "un échiquier intérieur", elle prend toute son ampleur en révélant ses pensées. Celles d’un Juif allemand qui échappe au nazisme en embarquant à bord d’un paquebot, direction l’Argentine. "Combien de destins se croisent au sein de ce bouillonnement de vie, combien de joie et de tristesse", s’interroge Heinz Magnus. "J’ai pris congé de mes idéaux, j’ai pris congé de mes espoirs, j’ai pris congé de mes livres. J’attendais la vérité, j’espérais la révélation… Je suis déprimé." Il ignore encore que cette traversée, vers un monde inconnu, va le conduire au-delà de ses espérances.
Une tension anime d’autant plus les passagers que les événements politiques s’enveniment en cette année 1937. Pendant que les pions de la Seconde Guerre mondiale se mettent en place, ces êtres très différents vont se côtoyer dans ce huis clos plein de libertés. Parmi eux, Sonja Graf, championne d’échecs. Une personnalité atypique qui rêve de remporter la partie, mais qu’est-ce qui est vraiment en jeu ici ?
Ariel Magnus aurait pu magnifier cette histoire : il tient plutôt à jongler avec les multiples formes que peut adopter l’écriture. Son grand-père n’a pas pu devenir écrivain, tant il devait subvenir à ses besoins, alors son petit-fils prend la relève. Son roman, déstabilisant et labyrinthique, s’inspire du Joueur d’échecs de Stefan Zweig. Il multiplie les axes ou les théories pour explorer les métaphores que renferment les échiquiers politique, historique, guerrier, cérébral ou humain. Tous les coups sont permis, à condition d’y ajouter des fragments du journal de Heinz Magnus. "A présent le monde s’embrase, applaudit et préfère les horreurs. Doit-on désespérer pour autant ?" Kerenn Elkaïm