Le principe constitutif de la critique de la critique est de lui opposer sa sempiternelle facilité face à l’art qui, lui, serait difficile. Un peu court mais toujours efficace, "t’as qu’à en faire autant puisque tu es si malin", qui résonne le plus souvent aux oreilles du critique moins comme un défi que comme une sentence.
Il y a quelque chose de cet ordre-là dans Un autre monde, le très beau récit de transmission et de rédemption que publie Michka Assayas et son premier livre chez Rivages. Très jeune, presque encore adolescent, Assayas donna dans les pages de Rock & Folk (puis plus tard dans celles de Libération et des Inrockuptibles) une légitimité à l’idée de "rock critic" à la française. Né comme il convient trop jeune dans un monde trop vieux, il accompagna avec style le passage du rock de l’hédonisme hippie vers le nihilisme punk rock et les terres désolées de la new wave. Ses avis firent très vite autorité, et son style, déjà tout d’épiphanies sèches et sarcastiques, école. Les friches industrielles de Manchester, les terrains vagues de la banlieue de Londres, devinrent avec lui les îles sous le vent de toute une génération. Dans le même temps, il déclina de livre en livre, depuis Les années vides (Gallimard, 1990) jusqu’au récent et très beau Faute d’identité (Grasset, 2011), une autofiction tout aussi générationnelle et comme gorgée d’une mélancolie qui peine à s’avouer comme telle. Bref, on en était là, lorsque voici quelques années Michka Assayas découvrit à la fois sur son Mac l’application Garage Band, et sur ses comptes en banque, où apparaissaient en débit de mystérieuses sommes, que son fils adolescent filait un mauvais coton. Flanqué, en guise de chanteuse, de Louise, petite fée à la ramasse rencontrée dans un Salon du livre et à peine plus âgée que son fils, il entreprend à quarante ans passés de monter avec son garçon un groupe de rock curieusement nommé Suis Bomba. Il s’agissait peut-être moins de renouer (ou nouer) le dialogue avec son fils que d’affronter enfin les démons de sa propre jeunesse, l’envie jamais vraiment avouée de quitter les coulisses pour la scène, le commentaire pour l’action. Bien entendu, ce fut un désastre, mais un désastre somptueux tel qu’Assayas l’expose dans cet Autre monde, profondément honnête et gorgé de larmes et de tendresse. Tout se dénouera à l’enterrement d’un ami de jeunesse sur la tombe duquel l’apprenti musicien interprète une chanson des Beatles à l’ukulélé. Et là, dans cette désolation qui serre la gorge, tout enfin est réconcilié et le temps est retrouvé. Olivier Mony