Une édition anniversaire dont on se souviendra. Du mercredi 27 novembre au lundi 2 décembre, le Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil, en Seine-Saint-Denis (SLPJ), soufflait ses 40 bougies autour d’un riche programme sur le « Rêve général » partagé par plus de 400 exposants et quelque 2 500 auteurs et autrices. Cette année, 198 000 visiteurs, soit 5 000 de plus qu’en 2023, se sont joints à cette utopie collective, à laquelle bon nombre de surprises se sont également invitées.
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Panne de courant inaugurale et manifestation chez Bayard
Compromise par une panne d’électricité, la traditionnelle soirée d’inauguration du salon de Montreuil, mercredi 27 novembre, s’est transformée en marché nocturne éclairé à la loupiotte. Si dans un premier temps, l’incident n’a pas empêché les professionnels d’étancher leur soif, ces derniers ont été contraints de quitter les lieux une demi-heure plus tard. Des centaines d’acteurs du livre ont alors investi les rues, coupes de champagne à la main et emportant les petits fours distribués pêle-mêle pour ne pas gaspiller les grands buffets prévus par les éditeurs.
Peu avant leur évacuation, les professionnels avaient remarqué l’agitation régnant autour du stand des éditions Bayard Jeunesse où des salariés brandissaient une grande banderole barrée du slogan « Chez Bayard, aucune place à l’extrême droite ». Ce mouvement de contestation était né en réponse à l’annonce de l’arrivée d’Alban du Rostu au poste de directeur de la stratégie et du développement du groupe. Après un deuxième débrayage, jeudi 28 novembre, devant le siège de la maison, celle-ci a finalement renoncé au recrutement de l’ex-collaborateur de l’homme d’affaires Pierre-Édouard Stérin.
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Une édition de Shoot the Book ! Jeunesse élargie
Dès le deuxième jour du salon, éditeurs et producteurs audiovisuels se sont retrouvés à Montreuil pour la troisième fois consécutive sous l’égide de la Scelf, grâce à son programme de rencontres « B to B » « Shoot the book ! ». Cette année, les échanges ont été allongés sur l’ensemble de la journée avec pas moins de 80 marques éditoriales représentées et près d’une cinquantaine de producteurs. Ces derniers ont d’ailleurs pu assister, au préalable, aux pitchs d’une douzaine de titres sélectionnés en amont par un jury de professionnels.
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Le pass Culture, un outil aussi pour les bibliothèques ?
Alors que la ministre de la Culture se déplaçait jeudi dernier à Nogent-sur-Marne, annonçant, entre autres, la sanctuarisation d’un budget dédié au spectacle vivant, le Salon de Montreuil accueillait, de son côté, un échange intitulé « Le pass Culture au service des bibliothèques ». Marine Gauvin, coordinatrice de l’éducation artistique et culturelle du pass Culture, y a notamment rappelé le rôle du dispositif dans l’autonomisation des jeunes. Pour cela, l’application du pass Culture met à disposition de ses bénéficiaires une carte interactive, « qui référence plus de 40 000 lieux culturels ».
Parmi ces derniers, l’experte dénombre 1 700 bibliothèques issues de 750 communes actives. « On a eu un peu de mal à les convaincre de l’utilité de la plateforme. Cela permet pourtant d’être dans le viseur de près de trois millions de jeunes », a rappelé Marine Gauvin. Mais aussi d’informer les jeunes lecteurs sur les différentes animations mises en place par les médiathèques, et de les inviter à venir nombreux.
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Comment mieux négocier son contrat d’édition ?
À l’aube de ses 50 ans, la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse a dévoilé, lors d’une table-ronde samedi 30 novembre, le lancement d’un baromètre du contrat jeunesse. Pensé comme un outil collaboratif, le dispositif entend permettre une meilleure rémunération des auteurs et illustrateurs. « C’est un projet un peu artisanal qui a donné lieu à la diffusion d’un questionnaire auprès de nos adhérents afin de collecter des données sur trois points : les à-valoir, les pourcentages de droits d’auteur et les paliers possibles », a expliqué Céline Bénabès, directrice de la Charte, à Livres Hebdo.
À ce jour, 250 adhérents ont répondu au questionnaire, ce qui a permis à la Charte d’établir un premier constat : les artistes travaillant sur un titre de young adult obtiennent, en moyenne, une meilleure rémunération que les autres. Avec ce type de mise en lumière, la Charte espère donc pouvoir donner davantage de pouvoir aux auteurs et illustrateurs, pour mieux négocier leur contrat, dont dépend leur rétribution. À partir de 2025, le baromètre sera accessible sur le site internet de la Charte, via l’espace personnel de ses adhérents. Ces derniers pourront le consulter, mais aussi l’alimenter de façon anonyme. « Il s’agit aussi de délivrer collectivement des bonnes pratiques pour nourrir les négociations individuelles », conclut Céline Bénabès.
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L’IA au cœur des préoccupations créatives et sociétales
La table ronde consacrée à l’impact de l’intelligence artificielle (IA) sur la création a rassemblé, lundi matin, un public nombreux et diversifié, témoignant de l’intérêt toujours croissant pour ce sujet brûlant. Parmi les intervenants, Vincent Pianina, auteur de littérature jeunesse primé, a exprimé son inquiétude face au potentiel remplacement des créateurs par l’IA, insistant sur le plaisir intrinsèque de la création humaine. À l’inverse, Vincent Ravalec, romancier et explorateur de technologies immersives, a défendu l’IA comme outil au service de la créativité, tout en reconnaissant les enjeux éthiques et écologiques qu’elle soulève.
Arnaud Robert, directeur juridique du groupe Hachette, a mis en lumière les avancées européennes en matière de transparence des opérateurs IA, soulignant l’importance de marquer les contenus générés. Une démarche appuyée par Caroline Lagayette de Google, qui a présenté les efforts en cours pour standardiser ces outils au niveau international. Enfin, Florence Jamet, enseignante à l’école Estienne, a partagé le ressenti contrasté de ses étudiants : entre curiosité et crainte d’être remplacés, les futurs créateurs manifestent un besoin pressant de formation éthique et pratique face à ces technologies. Une enquête présentée par la Dagp et la SGDL, organisateurs de la table ronde, a enrichi ces discussions en fournissant des données concrètes sur les perceptions des auteurs face à l’IA.
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Vers une écologie collective
Après la prise de conscience, l’action. Depuis la pandémie de Covid, le monde du livre s’y essaie en multipliant les initiatives en faveur de l’écologie. C’est notamment le cas de l’Association pour l’écologie du livre, créée en 2019 et qui compte aujourd’hui plus de 400 sympathisants. Parmi eux, des structures régionales de la Fédération interrégionale du livre et de la lecture (Fill), dont des responsables ont animé la table ronde, lundi 2 décembre, « Le livre écologique : un rêve accessible collectivement ». « La Fill met en réseaux les professionnels pour aller vers des pratiques plus vertueuses », a commenté Marion Cazy, chargée de projets écologie du livre pour Normandie Livre & Lecture.
Si certaines expérimentations individuelles ont déjà été menées, les professionnels ont cette fois-ci voulu mutualiser leurs efforts. « Parce que l’écologie commence par la coopération, les structures régionales pour le livre se sont associées, en 2024, pour proposer un programme collectif de webinaires et de formations », a ainsi indiqué Solène Bouton, chargée d’information et de communication à la Fill. Au total, une vingtaine de webinaires a eu lieu cette année, dont le dernier s’est conclu sur les coulisses du processus de publication d’un titre, « de l’arbre au livre ». Désormais, les structures régionales continuent de réfléchir à des moyens d’inciter les acteurs du livre à rejoindre ces initiatives, via des labellisations de manifestations littéraires, ou des rencontres re-localisées.