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En jeunesse, le documentaire fait de la résistance

La table des documentaires chez Nathan. - Photo OLIVIER DION

En jeunesse, le documentaire fait de la résistance

Au milieu des pépites de fabrication et des best-sellers, le livre documentaire jeunesse s'est parfois démené pour trouver sa place sur les étals du Salon de Montreuil. En perte de vitesse, le segment fait sa mue, suivant de près les mutations sociétales pour continuer d'exister.

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Par Élodie Carreira, Léon Cattan
Créé le 08.01.2025 à 16h25

Il passerait presque inaperçu au milieu des parutions ornementées et des phénomènes jeunesse. Pourtant, pendant le Salon du livre et de la presse jeunesse (SLPJ), qui s'est tenu à Montreuil du 27 novembre au 2 décembre, le livre documentaire ne s'est pas dégonflé. Grands formats, beaux écrins, contenu à rabats... Le segment s'est montré sous son meilleur jour pour reconquérir un public désormais happé par les réseaux sociaux, ces prescripteurs 2.0

Il faut dire que, depuis le début du règne de Wikipédia, les éditeurs sont bien en peine. En 2024, le segment continue d'ailleurs de dévaler la pente, avec une chute de 3 % de son chiffre d'affaires par rapport à l'année dernière. Et jusqu'à -9,6 % quand il cible un lectorat de plus de 10 ans. Pour lutter contre le phénomène, les professionnels du livre n'ont plus l'embarras du choix. Si certains optent désormais pour un rétrécissement de leur offre, d'autres aiment mieux sortir des sentiers battus, avec des formats inattendus ou des thématiques nouvelles.

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Chez Casterman, la suite du remarqué Histoire de France au féminin.- Photo ÉLODIE CARREIRA

L'effet référence

Quelques poids lourds du ludo-éducatif peuvent toutefois encore se permettre de miser sur des collections bien identifiées du public. C'est le cas des « romans doc » de Bayard Jeunesse, collection de docu-fiction qui continue de se vendre à 160 000 exemplaires chaque année. De la même façon, « Mes p'tits docs » de Milan, première collection de documentaires sur le marché, ont fidélisé des milliers d'enseignants et connaissent un second souffle sur le Cube à histoires de la maison.

Venue spécialement pour la manifestation séquano-dionysienne, la maison britannique Usborne, qui célèbre ses 40 ans de présence dans l'Hexagone, a présenté une myriade d'ouvrages aussi colorés que son stand. « La non-fiction est le cœur de notre métier », partage Laura Cleary, responsable des opérations commerciales. Avec près de 150 livres documentaires, la maison accompagne les plus jeunes dans leur apprentissage du monde, à l'instar de la collection « Mes premières questions », qui aborde des thématiques parfois difficiles comme la perte d'un être cher, dès trois ans.

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Sur le stand de Nathan Jeunesse.- Photo ÉLODIE CARREIRA

Autre référence pédagogique du secteur, Nathan Jeunesse a fêté les 25 ans de la collection « Kididoc » autour d'une vingtaine de rééditions et nouvelles parutions, dont une biographie animée de Léonard de Vinci. « On vend encore beaucoup d'encyclopédies, fait savoir Valério Rio, directrice générale de la maison. Les parents aiment bien en offrir, elles sont une alternative rassurante à Internet et permettent de fédérer toute la famille. » Abordant près de 300 questions autour de l'espace, la Terre, le monde vivant, l'histoire, les sciences ou encore le corps humain, La grande encyclopédie illustrée a, par exemple, été rééditée en octobre dernier.

« Le documentaire jeunesse est une tradition chez Casterman et la maison n'hésite pas à aborder des sujets actuels, progressistes et en lien avec l'évolution de la société », a détaillé le libraire du stand à Montreuil, Étienne Couratte-Arnaude, sursollicité par les scolaires venus des quatre coins du 93. Outre des publications plutôt classiques sur les métiers (« Dans la peau de »), les dinosaures (Un dinosaure par jour), ou sur les différents pays, la maison a donc aussi mis son savoir-faire au service d'enjeux contemporains.

À la croisée des genres

Pour combattre les idées reçues et le racisme, l'écrivain et historien Jean-Michel Billioud a signé Quand on arrive en France, avec la collaboration du Musée national de l'immigration, mais aussi Ensemble contre le harcèlement scolaire et Agir pour la planète. Surfant sur le triomphe de la bande dessinée documentaire, dont Le monde sans fin s'est fait la figure de proue, Casterman a également imaginé la collection « Tout en BD », avec Histoire de l'Art au féminin, paru en septembre dernier en digne successeur d'Histoire de France au féminin, écoulé à près de 32 000 exemplaires.

Sur ses comptoirs, parmi les plus riches en documentaires, la maison a aussi fait la part belle à la série Encyclopedium, dont les majestueux albums crayonnés par Katie Scott empruntent parfois leur composition graphique à celle des herbiers. « L'achat de documentaires étant moins banalisé, le coût augmente et la qualité de l'objet doit suivre. Il devient un cadeau », explique Céline Dehaine, directrice éditoriale de Flammarion Jeunesse, qui a misé sur le caractère patrimonial du catalogue avec les Castor Doc.

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L'autrice Aude le Pichon et son éditrice chez Cépages éditions présentent leur Tours du monde.- Photo ÉLODIE CARREIRA

Entre ses belles rééditions de la saga Harry Potter et ses incontournables Petites Bêtes, Gallimard Jeunesse a aussi accordé un rayon aux albums documentaires, au premier rang duquel La Terre expliquée aux enfants, avec Erik Orsenna de l'Académie française, et le géologue Pierrick Graviou. Un duo chercheur-artiste particulièrement efficace que l'éditeur n'est pas le seul à privilégier.

Après avoir multiplié les collaborations avec Hélium, Marabout ou Les Grandes Personnes, le Muséum national d'histoire naturelle s'est récemment lancé dans l'édition autonome d'albums pour la jeunesse avec À la rencontre du vivant, fruit du travail des artistes Hélène Rajcak et Damien Laverdunt, avec l'équipe de zoologistes de l'établissement. « L'illustré a une place privilégiée dans l'ouvrage. C'est pour nous une nouvelle façon de rendre le savoir accessible au jeune public », détaille Cécile Martin, responsable des éditions grand public.

La jeune garde

Du côté des indépendants, disposés en grande partie au deuxième étage du Salon, se lancer sur le documentaire jeunesse peut aussi être un moyen de se démarquer, en s'engouffrant dans des brèches encore non explorées. La maison La Ville Brûle s'y est essayé il y a déjà quinze ans, avec un positionnement engagé. Sa collection historique « Jamais trop tôt » a vu passer, au début des années 2010, un avant-gardiste manifeste féministe pour les petits lecteurs, réédité en volume unique en 2015 sous le titre Ni poupées ni super-héros ! Tout aussi précurseur, le titre d'Élise Thiébaut, Les règles... Quelle aventure ! (2017) a bénéficié d'une mise à jour en 2024, tandis que la maison prévoit pour janvier 2025 la publication de Michel et Monique Pinçon, illustrée par Étienne Lécroart, Pourquoi les riches sont-ils de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres ?

Intégrées au réseau Fontaine O Livres, les éditions Fadjong ont récemment vu le jour avec des documentaires pour « mieux faire connaître aux petits lecteurs la société et la culture actuelles chinoise, différentes de la vision idéalisée de la Chine impériale ou de celle décrite par les médias aujourd'hui », précise leur fondatrice, Stéphanie Ollivier. De la même façon, Cépages éditions, la « vendangeuse d'histoire », vient de se lancer avec un beau livre au format inédit (19x36 cm), intitulé Tours du monde. Entre deux dédicaces, son autrice, Aude Le Pichon, explique : « En mettant en avant une dimension hors-norme, record, on capte mieux l'attention des enfants, tout en évoquant des enjeux scientifiques comme politiques. »

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