La dame de Shalott est un long poème de lord Tennyson, inspiré du cycle arthurien. L’héroïne éponyme, recluse dans un donjon, est frappée d’une malédiction : elle ne voit du monde extérieur que le reflet dans un miroir, reflet qu’elle ne cesse de tisser sur son métier… Quand Hélène Frappat, grande lectrice de poésie anglaise, tombe par hasard sur cette ballade, elle sait que les vers du poète victorien sont pour elle - destinés à être la matière d’une fiction. De fait, ils innervent et rythment son dernier roman, Lady Hunt. Après Inverno (Actes Sud, 2011), une histoire à double hélice, racontant l’échappée de la narratrice fuyant un amour déçu à Rome et l’émancipation de la mère d’une amie d’enfance, Hélène Frappat poursuit une voie plus romanesque. Ses premiers textes, tout en tenant de l’investigation, avaient quelque chose du récit troué. Se dégageait d’eux un charme impressif… Ici, le charme agit encore et le mystère n’a pas désépaissi, mais l’auteure de Par effraction (Allia, mention spéciale du jury du prix Wepler-Fondation La Poste 2009) a pris le soin d’ourdir, telle son inspiratrice, la dame au miroir du poème, un enchaînement d’épisodes qui forme une intrigue aux accents gothiques.
Affublée du vieux Burberry de son père, Laura Kern, avatar féminin et juvénile de l’inspecteur Colombo, va mener l’enquête de la Plaine-Monceau à la lande galloise dont est originaire sa famille paternelle. Laura travaille dans une agence immobilière du quartier des Ternes, à Paris. Dans les appartements vides, elle couche avec son employeur et amant, qu’elle nomme sobrement « le Patron ». Laura fait visiter un typique appartement haussmannien à un couple accompagné d’un enfant de 7 ou 8 ans. Laïus sur les lieux : les chambres sont en enfilade mais l’endroit est clair… Et de s’apercevoir soudain que l’enfant a disparu ! Une énigme de plus pour Laura. Ou peut-être la disparition d’Arthur n’est-elle qu’un morceau du même puzzle ? Hantée par le rêve d’une maison et la vision d’une « femme aux cheveux rouges », Laura est également obsédée par la chorée de Huntington, une maladie dégénérative héréditaire, qui avait précipité le suicide de son père, John, un peintre féru de Tennyson.
Le métier de sa protagoniste permet à Hélène Frappat de déployer des trésors d’imagination et de brosser une galerie de portraits de clients les plus divers : l’un veut retrouver la demeure de son enfance ; l’autre, dégoûté par l’appartement de sa maîtresse, désire un nouveau lieu plus propice à sa relation extraconjugale… Mais, outre ces situations cocasses, ce que la romancière réussit formidablement bien est une atmosphère hitchcockienne teintée d’absurde (le coq-à- l’âne des comptines et la concaténation d’images oniriques traversent le récit). La tonalité psychotique de la narration - Laura Kern est-elle réellement visitée par « Lady Hunt » ou folle à lier ? - rend le texte proprement inquiétant. Sean J. Rose