Lors d'une conférence de presse organisée à la Maison de la poésie, la Commissaire générale des États généraux Sylvie Marcé, le directeur général de l’Institut français Erol Ok, et le directeur général du Syndicat national de l’édition Pierre Dutilleul ont dévoilé les grandes lignes de ce rendez-vous plein d’ambitions pour le livre en langue française, au premier rang desquelles, la réduction de la fracture entre pays du Nord et du Sud.
Alors que les revenus globaux de ventes de livres francophones sont estimés à 5 milliards d’euros par an dans le monde, la France représente à elle seule 85 % de cette somme. En incluant l’Europe et l’Amérique du Nord, 95 % des ventes sont réalisées dans les pays du Nord. A contrario, les populations francophones des autres continents (en Afrique pour l’essentiel) ne réalisent que 5 % des ventes alors qu’elles représentent 66 % du total des francophones dans le monde.
Le livre trop cher et inaccessible
Le livre reste ainsi largement inaccessible dans de nombreux pays du Sud en raison de son prix. Selon le Panorama de l’édition francophone réalisé par le Bureau international de l’édition français (Bief), le prix d’un livre en France représente en moyenne 0,34 % du PIB mensuel par habitant (calculé en parité de pouvoir d’achat). En comparaison, le prix d’un livre produit localement en Afrique subsaharienne ramené au PIB mensuel moyen par habitant représente 4,2 %, soit douze fois plus cher qu’en France. L’écart se creuse encore plus s’agissant des livres importés, dont le prix mensuel moyen en Afrique subsaharienne représente 9,1 % du PIB par habitant. « Si de tels ratios s’appliquaient en France, le prix moyen d’un livre coûterait entre 150 et 325 euros », illustre le Bief dans son étude.
Les raisons d’un tel écart sont nombreuses : l’absence de marché structuré dans de nombreux pays du Sud, tout comme le déficit de professionnalisation de la chaîne du livre, rendent difficile l’établissement de relations de confiance entre les acteurs de l’espace francophone.
Captations de talents
Les grands écrivains du Sud, s’ils acquièrent parfois une notoriété internationale, sont aussi captés par les éditeurs français et ne sont paradoxalement que peu diffusés dans leur pays natal, les privant ainsi de leviers pour valoriser la création intellectuelle de leurs auteurs ou stimuler l’intérêt pour la lecture et l’écriture.
De la même manière, la captation du marché du livre scolaire par les éditeurs internationaux empêche les chaînes locales du livre d’acquérir l’expertise et les compétences nécessaires pour développer leur propre marché.
Dernier écueil et non des moindres, les États généraux constatent la difficulté de mobiliser de nombreux pays du Sud autour des enjeux du livre et de la lecture pour engager des politiques publiques ambitieuses. Ils espèrent néanmoins susciter une prise de conscience partagée lors du Sommet des chefs d’États de la Francophonie, prévu en novembre 2021 à Djerba.
Un réseau numérique des acteurs du livre en langue française
Ils s’appuient pour ce faire sur un plan d’actions opérationnel engagé autour de quatre axes thématiques. Le premier est la création d’un réseau numérique des acteurs du livre en langue française conçu pour faciliter la mise en relation et stimuler les échanges professionnels entre acteurs du livre. Le site a été porté par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et propose notamment une carte immersive et un moteur de recherche présentant actuellement près de 2000 références regroupant plus de 16000 acteurs.
Les États généraux s’appuient aussi sur des données et projections relatives au marché francophone. Le Bief présente ainsi sur son site Internet une série de sept fiches géographiques proposant une photographie détaillée par grandes régions de l’espace francophone. En parallèle, une étude économique prospective portant sur l’horizon 2030 et 2050 a été menée par le cabinet BearingPoint, avec l’appui d’un Comité d’orientation scientifique international. Ses résultats seront présentés en exclusivité lors d’une table ronde aux États généraux de Tunis.
Priorité à la jeunesse
Troisième axe du plan d’action, la rédaction d’un Cahier de propositions en faveur du livre et de la lecture afin de lever les freins identifiés, fluidifier les échanges et décloisonner les espaces. Cinq ateliers numériques ont été organisés en avril 2021 dans le cadre des Rencontres numériques du livre en langue française dans le monde, aboutissant à 50 propositions pour une nouvelle dynamique du livre qui seront également portées à Tunis. À partir du 30 juin, les acteurs de la chaîne du livre sont invités à voter pour les propositions prioritaires sur le site www.lelivreenlanguefrancaise.org.
Quatrième et dernier axe, les États généraux établissent un corpus d’œuvres littéraires en langue française contemporaine (XXe et XXIe siècles exclusivement) à destination des 15/25 ans. Treize pays sont aujourd’hui représentés dans ce corpus qui réunit 650 œuvres ayant vocation à être proposées aux élèves et étudiants dans le cadre de leur cursus scolaire et universitaire. Les éditeurs locaux sont à chaque fois invités à trouver des solutions pour rendre accessibles les œuvres sélectionnées.
Dimension politique
Si le projet des États généraux est porté par le ministère français de la Culture, qui en endosse la responsabilité, sa dimension multilatérale est néanmoins mise en avant : à l’échelle de la francophonie, une gouvernance collective a ainsi été instaurée avec un comité de pilotage dans lequel 22 pays sont représentés. Six états ou gouvernements – la Côte d’Ivoire, la République de Guinée, le Québec, la Confédération suisse, la Tunisie, la Fédération Wallonie-Bruxelles et l’Organisation internationale de la francophonie - se sont ainsi associés à la France pour co-organiser l’événement à Tunis.
Reste à voir quelle suite les gouvernements des pays francophones donneront aux initiatives et aux propositions défendues par les États généraux où 400 éditeurs et organismes sont attendus. Loin d’être une fin en soi, le rendez-vous de Tunis se veut l’amorce d’une coopération de longue haleine entre tous les acteurs de la francophonie. Mais ce sont bien les politiques qui auront le dernier mot.