22 AOÛT - ROMAN France

Sauf erreur ou omission, c'est la première fois que Jean Grégor dévoile sa filiation avec Pierre Péan. Le fils nous confesse que, dans son adolescence - il est né en 1968 -, il ne se rendait pas bien compte du métier qu'exerçait son père, journaliste d'investigation têtu et sans concession, ni des dangers qu'il encourait.

Jean Grégor- Photo DR/FAYARD

Ainsi, dans ces années 1983-1984, alors qu'on aurait pu croire que l'arrivée de la gauche au pouvoir allait changer certaines moeurs et pratiques, un "contrat" avait été mis sur la tête de Pierre Péan, et un tueur, un certain Jean-Michel, chargé de l'éliminer. La raison ? Son document-choc, Affaires africaines, paru chez Fayard en octobre 1983, où Péan démontait le système de la "Françafrique" mis en place sous de Gaulle et pérennisé depuis. L'opération était pilotée par un "Gros Minet", dont les ordres seraient venus du sommet de l'Etat. Tentatives d'intimidation de l'éditeur, Claude Durand, appels anonymes, cambriolages, bombe en guise d'avertissement... Et puis tout s'arrête, à cause d'une embrouille. Jean-Michel, tueur à gages de haut vol, annule la "mission". Et il s'interposera encore, dans les années 1990, quand le "journaliste fouille-merde" sera de nouveau dans le collimateur du pouvoir. Entre-temps, la "victime" et son "assassin" seront devenus amis. Et Grégor aussi, avec Jean-Michel, qu'il a fini par rencontrer à Libreville, au Gabon, là où toute l'histoire africaine de Pierre Péan a commencé, en 1962.

Jean Grégor a mis longtemps à convaincre son père de le laisser enquêter sur cette histoire de "contrat", qui le fascinait et dont il projetait de faire un roman. Il a finalement obtenu un "Fais ce que tu veux" en guise de sésame. Durant trois ans, il a été en quelque sorte le "Péan de Péan", rencontrant les amis de jeunesse de son père, l'interviewant, comme s'il s'agissait d'un étranger, de même que sa femme, Odile, mère du narrateur, qui vivait elle aussi dans sa jeunesse au Gabon. C'est là qu'elle et son futur mari se sont connus. Et puis il y eut un blocage, jusqu'à la fin 2011. Celui que Grégor appelle "Péan" hésite avant de laisser l'enquêteur interviewer Jean-Michel. Lequel détient les clés de toute l'histoire. Cela se fera enfin, et on comprendra tout.

L'ombre en soi est un livre unique, où un écrivain prend son père vivant comme personnage de roman, dans une démarche qui mêle amour et distance littéraire. L'entreprise était risquée, mais Jean Grégor s'en sort avec brio. C'est passionnant, émouvant, mené comme un thriller, avec le making of de l'enquête. Le jeune Péan parvient à nous surprendre à chaque livre. Et celui-ci est son meilleur.


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