Parmi les correspondances littéraires de Gide, celle avec Francis Jammes constitue une exception. Elle est en effet parue une première fois en 1948, du vivant de Gide mais dix ans après la mort de Jammes, dans une édition due à Robert Mallet, qui avait dû vaincre la "répugnance" et les "scrupules" de Gide, inspirés par un "devoir de discrétion à l’égard d’un partenaire disparu" et la crainte que l’entreprise n’intéresse guère. Cette correspondance est aussi particulière eu égard à la relation entre les deux amis : épistolaire avant tout. Converti au catholicisme en 1905, grâce aux bons offices de Claudel, Jammes éprouvait de plus en plus de peine à suivre Gide dans son évolution, notamment en matière sexuelle, composante majeure de son œuvre. Le poète bucolique n’a jamais pu encaisser Les nourritures terrestres, Si le grain ne meurt, sans parler de Corydon !
Tout avait pourtant bien commencé. En 1893, Eugène Rouart conseille à Jammes d’envoyer son recueil Vers à Gide. Ce dernier, tenté lui-même par la poésie virgilienne post-symboliste, celle des Poésies d’André Walter, apprécie et l’écrit à l’auteur. La mécanique s’enclenche, faite d’admiration réciproque. Et, du côté de Jammes, porté au lyrisme, d’une idéalisation de son nouvel ami, qu’il surnomme "le pâtre des berges". Gide entre dans le jeu, et donne du "faune au doux chalumeau". Dans ce premier tome se construit une amitié sur deux registres : des lettres "littéraires", où chacun rivalise de virtuosité, d’humour et d’affection ; et des "lettres d’affaires" où Gide, futur créateur de la NRF, essaie d’aider Jammes, qui vivait à Orthez loin du milieu littéraire, à se faire publier, connaître et reconnaître. Il y parviendra. Jammes fut un auteur important du Mercure de France.
Au total, cette édition de leur correspondance comprendra 554 lettres, soit 260 de plus que dans la première édition, et le tome II (1900-1938) devrait paraître chez Gallimard à la fin de 2015. J.-C. P.