Livres Hebdo : Lors de votre début de co-mandat en 2022, l’un de vos principaux objectifs consistait à faire rayonner la littérature jeunesse. Y êtes-vous parvenues ?
Laurence Faron : Plus précisément, nous souhaitions réaffirmer la littérature jeunesse, qui est essentielle, tant en termes de poids économique dans le secteur de l’édition (la littérature jeunesse représente près de 25 % du marché et presque un tiers des cessions de droits de traduction), que parce qu’elle s’adresse aux lecteurs et lectrices de demain. En parallèle de la médiatisation de cette littérature, qui a été une autre de nos priorités, cela impliquait de renforcer nos liens avec le monde de l’éducation, de mieux faire connaître nos métiers, nos catalogues, mais aussi de demander à être davantage consultés, voire impliqués, dans l’élaboration des programmes scolaires ou dans la mise en place d’initiatives telles qu’« Un livre pour les vacances » ou « Cet été je lis ».
Avez-vous le sentiment que vos liens se sont renforcés comme vous l’espériez ?
L.F. : Nous avons eu un très grand nombre de rendez-vous au niveau ministériel, notamment avec la direction générale de l’enseignement scolaire (Dgesco), afin de faire valoir l’existence de la littérature jeunesse, sa richesse, son sens des responsabilités ou encore sa créativité. Ces liens sont essentiels et doivent être maintenus au long cours et au fil des remaniements ministériels.
Cécile Térouanne : Ce travail a été un temps particulièrement fort de notre mandat. Je crois que nous sommes arrivées à un moment où l’Éducation nationale commençait à interroger les pratiques de la lecture en classe, au regard des dernières réformes. Nos interlocuteurs ont reconnu un certain désarroi. Ils ont sans doute pris conscience que l’exclusion de la littérature jeunesse des programmes, lors des réformes de 2008 et de 2016, n’avait peut-être pas été sans conséquence. En effet, proposer des œuvres patrimoniales, parfois ardues, lorsque le niveau de maîtrise de la langue est vraiment faible, peut rebuter et faire obstacle à la pratique de toute lecture par la suite. Cette prise de conscience a aujourd’hui conduit à la réintroduction de nouveaux titres dans les listes disponibles sur la plateforme Eduscol.
« Donner plus de visibilité à une littérature qui fabrique les citoyens de demain »
Pourquoi, selon vous, la création contemporaine peine-t-elle encore à trouver sa place dans les programmes scolaires ?
C.T. : La littérature jeunesse souffre encore d’un manque de légitimité. Pour certains enseignants, la véritable littérature ne peut être que « classique », c’est-à-dire adoubée soit par le temps, soit par les prix et la critique dite « littéraire ». Cette perception est la preuve d’une méconnaissance, liée à une absence d’information, de médiatisation et de formation. C’est pour répondre à cet enjeu que nous avons défini un deuxième axe de travail : solliciter les médias et les encourager à donner plus de visibilité à cette littérature qui fabrique les citoyens de demain.
L.F. : Les enseignants se sentent démunis face à une offre pléthorique et s’interrogent beaucoup sur la façon dont ils peuvent intégrer la littérature jeunesse contemporaine en classe. Il existe un besoin réel de formation, initiale et continue. Lors des rencontres régionales organisées dans le cadre de « Strasbourg, capitale mondiale du livre », nous avons mis en place un événement professionnel autour de l’album qui a suscité l’intérêt de plusieurs enseignants. Malheureusement, comme souvent, les enseignants n’ont pu être déchargés de leurs classes pour venir se former et s’informer. C’est pour répondre à ces contraintes que nous avons développé une capsule sonore, sous la forme d’un podcast d’une heure désormais disponible sur Eduscol et à disposition des rectorats et des écoles de formation continue. Aujourd’hui, notre posture vis-à-vis du ministère est avant tout celle d’une mise à disposition de nos ressources et de nos compétences, compatibles avec les objectifs pédagogiques.
Le groupe jeunesse du SNE a également créé en 2016 le prix Vendredi, premier prix national de littérature adolescente. Comment ce dernier contribue-t-il à la visibilité de la littérature jeunesse ?
C.T. : En 2023, nous avons noué un partenariat avec le pass Culture pour y ajouter un prix décerné par de jeunes lecteurs bénéficiaires du dispositif. Si bien qu’aujourd’hui, le prix Vendredi bénéficie d’une belle visibilité dans les médias, en librairie, mais aussi sur les réseaux sociaux. Tout comme les Dialogues de la littérature jeunesse, que nous avons lancés lors du Festival du livre en avril dernier, ou les parcours professionnels lors du Salon de Montreuil, et que nous comptons reconduire, ce prix s’inscrit dans une série d’événements portés par des interlocuteurs dynamiques, qui contribuent à valoriser une littérature en prise avec les enjeux de société actuelle, tels que la diversité et l’écologie.
« Tout est bon pour faire venir les jeunes à la lecture »
La réduction significative du budget du Pass Culture a marqué un tournant cette année. Comment vous êtes-vous saisies de cette problématique ?
C.T. : Comme l’ensemble des citoyens, nous avons été mis devant le fait accompli. Ces coupes budgétaires s’inscrivent dans un mouvement beaucoup plus global de baisse des subventions.
L.F. : Cette décision a eu un impact direct sur notre public. Concernant la part collective, nous espérons son rétablissement l’année prochaine, d’autant que nous souhaitons désormais, avec le pass Culture, faire venir les auteurs nominés du prix Vendredi dans les classes. S’agissant de la part individuelle, certaines problématiques, telles que les allocations destinées aux 15-17 ans, restent floues. Au-delà de notre étonnement, nous regrettons surtout qu’un dispositif qui fonctionne voie son budget réduit : tout est bon pour faire venir les jeunes à la lecture. Et il faut aussi dire que ces réductions mettent en péril les petites structures, notamment en région, qui dépendent d’un accompagnement local. Aujourd’hui, leur existence-même est menacée, ce qui fragilise de facto la diversité éditoriale.
À propos de la diversité des structures éditoriales, votre duo a permis la représentation, pendant trois ans, des grands groupes comme de l’édition indépendante. Diriez-vous que celles-ci peuvent fonctionner ensemble ?
L.F. : Au départ, la différence de taille entre nos maisons respectives, à Cécile et moi, nous a plutôt amusées. Or, cette alliance s’est révélée être un puissant moteur dans notre façon de travailler. Selon la taille d’une maison, les contraintes et les atouts ne sont pas les mêmes. L’édition indépendante doit continuer à exister, et pour cela, elle doit être écoutée. C’est cette voix que j’ai cherché à porter, en alertant sur des sujets tels que les conséquences de la suppression des tarifs postaux pour les livres et brochures, ou sur les spécificités liées à la taille des maisons face aux réglementations comme la directive jouet ou accessibilité. Et c’est ce que je continuerai à faire dans le cadre de l’Edif (association de l’édition indépendante en Île-de-France), dont l’assemblée générale se tiendra le 25 juin et lors de laquelle je porterai une liste de candidatures.
« Nous continuerons à entretenir un dialogue constructif avec le ministère de l’Éducation nationale »
Cécile Térouanne, vous entamez un nouveau mandat à la présidence du pôle jeunesse, désormais accompagnée d’Hélène Pasquet, directrice de Bayard, qui vous rejoint en tant que vice-présidente. Quelles seront les grandes orientations de ce nouveau mandat ?
C.T. : Avant toute chose, je tiens à préciser qu’il n’existe pas de hiérarchie formelle au sein du bureau jeunesse du SNE. Les décisions y sont prises de manière collégiale et collective. Hélène et moi assurons simplement la représentation de notre groupe et plus globalement des 60 éditeurs jeunesse adhérents au SNE. Cela dit, nous poursuivrons le développement des axes déjà engagés, qui ont vocation à alterner une année « Rencontre en région » et l’année suivante deux Dialogues de la littérature jeunesse. En 2026, nous irons en région à Toulouse pour évoquer l’apport de la littérature jeunesse dans l’apprentissage de la lecture. Nous célébrerons également les dix ans du prix Vendredi. Enfin, nous continuerons à entretenir un dialogue constructif avec le ministère de l’Éducation nationale, autour des enjeux liés à la lecture.