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Le monde de Blutch

La grande traversée d’Albert Uderzo (dessin et de René Goscinny (texte) publié chez Dargaud en 1975 et réinterprété par Blutch. - Photo Blutch/Dargaud

Le monde de Blutch

Blutch ouvre le champ des possibles de la bande dessinée en réinterprétant avec humour trente planches qui l’ont marqué.

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Par Fabrice Piault
avec Créé le 06.10.2017 à 01h40

"La bande dessinée me laisse perplexe. Après trente ans de travaux publiés, je n’ai jamais réussi […] à en dégager des lignes de force […], à asseoir une pensée, un style […]. Au fond, je n’y comprends rien", assume Blutch en introduction de son nouvel album dans lequel il réinterprète trente planches souvent cultes produites par des auteurs qu’il a aimés. Reprenant son geste d’enfant, lorsqu’il recopiait avec des feutres de couleur ses BD préférées, l’auteur de Péplum (Cornélius, 1997), Blotch (Fluide Glacial, 1999-2000), Vitesse moderne (Dupuis, 2002) ou Lune l’envers (Dargaud, 2014) tente une nouvelle fois dans Variations d’en saisir l’essence, dans l’esprit des variations pratiquées par les musiciens, notamment de jazz, qui revisitent un standard. De Pellos, le plus ancien (une planche des Pieds nickelés de 1958) à Goossens, en passant par Alexis, Forest, Gillon, Bretécher, Fred, Lauzier, Crepax, Pétillon, Tardi, ou Manara (en italien), Blutch transforme les références du 9e art en vaste terrain de jeu. Il s’approprie les univers d’Astérix, d’Alix (une planche sidérante de Iorix le grand), de Blueberry, de Blake et Mortimer, d’Achille Talon ou de Tintin, se tenant toujours sur un fil délicat entre humour, rêve et poésie.

Voici ainsi, tirée de L’honneur du samouraï (1964 dans Le Journal Tintin), la version Blutch d’une planche de Michel Vaillant où son auteur, Jean Graton, se "lâche" en ne représentant que, défilant dans l’usine familiale, des modèles d’automobiles (Vaillante Le Mans GT, Vaillante Concorde, Vaillante Junior, Vaillante Ipharra, Vaillante France, Vaillante Marathon coupé, Vaillante Fontainebleau …) - sa grande passion - sans se préoccuper de personnages ni de narration. Ou, détourné d’Un gaffeur sachant gaffer de Franquin (Le Journal de Spirou, 1968), une planche où Gaston et Monsieur de Mesmaeker ont échangé leurs rôles. Et bien sûr une page des Tuniques bleues, issue des Bleus dans la gadoue (Le Journal de Spirou, 1977), dans lequel Blutch - le personnage, dont Christian Hincker a choisi le nom pour pseudonyme - patauge logiquement dans la boue. Blutch s’autorise même le luxe d’une double réinterprétation, revisitant une planche de Gotlib revisitant le Lucky Luke de Morris à la lumière de Sergio Leone ("Lucky Luke Spaghetti", Pilote, 1971).

Lecteur, on regrette un temps que ces exercices de style et d’admiration ne soient pas accompagnés, en regard, des planches auxquelles ils paient tribut. Et puis, très vite on s’en félicite. Livrées dans l’entre-deux de la mémoire de chacun, les séquences remises en scène par Blutch réveillent des sensations oubliées. Tantôt l’œuvre originale s’impose précisément à la mémoire. Souvent elle surgit en restant dans un flou qui démultiplie le pouvoir de suggestion libéré par le travail d’exploration des champs du possible, de la bande dessinée réalisé par le dessinateur.

Fabrice Piault

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