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Le manga étend son empire dans l'Hexagone

À la librairie Japanim de Rennes, des livres et des animations. - Photo DR

Le manga étend son empire dans l'Hexagone

Depuis quelques années, les librairies manga s'imposent dans les centres-villes sur de vastes superficies, proportionnelles à l'engouement des Français pour la BD japonaise.

Par Hélène Goutany,
Créé le 07.03.2023 à 11h29 ,
Mis à jour le 20.03.2023 à 09h49

Pour créer sa première librairie de mangas, Julien Pelletier est allé frapper à la porte de cinq banques. Aucune n'a accepté de lui prêter les 150 000 francs nécessaires au lancement de son affaire. C'est finalement son père qui permettra au Lorientais de mettre sur pied sa première boutique. C'était en 1999. Plus de 20 ans plus tard, le libraire est à la tête d'un groupe, Japanim, implanté dans les grandes villes de l'ouest de l'Hexagone. Sa prochaine librairie ouvrira en mai à Rennes sur 300 m2. Une superficie qui témoigne de l'engouement croissant des Français pour le manga durant ces deux dernières décennies. Ils sont devenus les deuxièmes plus grands consommateurs du genre au monde derrière les Japonais.

Pau, Nancy, Nantes, Bordeaux, : les librairies de manga ont désormais pignon sur rue dans les centres-villes des métropoles avec des locaux gigantesques. Car le manga s'accompagne d'une quantité de produits dérivés qui exigent de l'espace et qui participent au succès de la BD japonaise et de ceux qui la vendent. En 2021, ce secteur a connu une croissance à trois chiffres de 121 % . Et même s'il a été un peu moins vigoureux en février 2023 dernier, selon l'Observatoire de la Librairie, il génère un type de commerce particulièrement dynamique sur le territoire français.

La librairie, lieu communautaire

« Une librairie de mangas, c'est moins calme qu'une librairie classique, annonce d'emblée Sullivan Rouaud, libraire et éditeur. Les fans viennent pour se rencontrer, ils se costument parfois, ça bouillonne : il se créé vraiment une communauté qui s'approprie les lieux. » Lui-même a acheté son tout premier manga chez Japanim des mains de Julien Pelletier...

A Marseille, Tsundoku, sa librairie gérée avec ses associés Thomas Bidault et Damien Marchetti a misé sur l'immersion. Une ruelle complètement aménagée à l'intérieur de la boutique et un espace « lounge » avec des tatamis importés du Japon permettent l'organisation d'activités pour les visiteurs. Le magasin, ouvert en juillet 2022, compte 7 salariés et affiche un chiffre d'affaires de 100 000 euros par mois. « Marseille était une ville avec beaucoup de demandes et très peu de concurrence, raconte Sullivan Rouaud. Les loyers sont abordables et nous avions vraiment envie de nous faire plaisir. » 

Le manga est un tel eldorado que certaines libraires de BD généralistes installent de nouvelles boutiques qui lui sont entièrement dédiées. C'est le cas de Mathieu Saint-Denis à Bordeaux qui a ouvert Manga Kat en mai 2022 pour accueillir les fans du genre. Le nouvel espace de 100 m2 a conservé son public mais a aussi attiré toute une nouvelle clientèle. « Nous avons remarqué que des jeunes qui passaient tous les jours devant l'autre librairie n'osaient pas pousser la porte. Les jeunes entre 12 et 25 ans n'ont pas envie d'aller dans une librairie généraliste de BD, explique Mathieu Saint-Denis. Cette clientèle a des attentes très fortes en termes de communauté et de conseils. Depuis notre ouverture, les deux tiers de nos lecteurs sont des jeunes que nous ne connaissions pas avant. » Ces nouvelles librairies misent donc sur la construction d'un lieu identitaire et culturel à forte valeur ajoutée.

Un lectorat qui s'est élargi

Car le manga n'est plus ce petit livre énigmatique lu de droite à gauche par quelques nerds en survêtement à capuche au fond d'une cours de récré. Les librairies ont su adapter l'offre japonaise à la demande française. Elles ont notamment supprimé les catégories d'origine comme les shōjo ou les shonen - respectivement destinés aux filles et aux garçons-  pour les remplacer par des classifications plus traditionnelles. Et le lectorat s'est élargi à mesure que les premières générations de lecteurs initiés à la culture manga par le Club Dorothée, mythique émission de TF1, ont vieilli et transmis leur passion à leur descendance. Les libraires notent ces visites en famille où les parents viennent acheter pour leurs enfants et pour eux-mêmes.

En plus du format poche à 7 euros, de nouvelles collections « perfect », à environ 15 euros le livre, ont fait leur apparition en rayons. Les couvertures sont cartonnées et les premières pages sont colorisées, à l'instar des séries Sailor Moon, Evangelion ou Dragon Ball Z pour ne nommer que les plus connues. « Les fans de manga s'intéressent désormais au collector. Et certaines collections reviennent au goût du jour à mesure que de nouvelles générations accèdent à ce type de lecture », précise Julien Pelletier. Si le panier moyen d'un client de Japanim est passé de 50 à 23 euros, son patron remarque que son magasin reçoit une clientèle beaucoup plus diversifiée et passagère qu'à ses débuts de libraire. Les librairies manga ont aussi profité de l'effet "Pass culture", initiative gouvernementale permettant aux jeunes entre 15 et 18 ans de bénéficier jusqu'à 300 euros de chèque. Enfin, les plateformes de streaming ont un rôle prescripteur, comme le rappelle Mathieu Saint-Denis : "Lorsque Netflix diffuse un nouvel épisode de Berserk, le nombre de ventes du manga est multiplié par sept le lendemain dans notre librairie."

De plus en plus de libraires candidats au manga

La frénésie du marché se perçoit jusqu'au Canal BD, premier réseau de libraire indépendants de BD. Bruno Fermier, son directeur, souligne recevoir de plus en plus de dossiers de candidatures pour des librairies dédiées au manga. « Aujourd'hui, nous recevons entre 50 et 70 demandes de création d'entreprises par an contre une dizaine il y a quelques années. Le manga est tellement porteur que cela a créé beaucoup d'envie, dit-il. Mais attention au désenchantement possible. On risque d'avoir des soucis de trésorerie en donnant trop de places aux produits connexes et non au livre. » Le marché s'est également structuré avec des groupes et des acteurs bien plus forts qu'il y a 10 ans. Pour l'instant, le groupement des libraires de BD a validé la demande d'une seule librairie manga, Asu Manga à Angers.

 

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