Paru en 1995, Faserland est en fait le premier roman du Suisse de langue allemande Christian Kracht, né en 1966, dont, en France, Phébus a déjà publié Imperium (en 2017) et Les morts (en 2018). Le livre avait remporté un vif succès dans le monde germanique, et son auteur fut comparé, à juste titre, à Bret Easton Ellis. La preuve : Kracht habite aujourd'hui à Los Angeles.
Faserland (jeu de mots entre l'anglais father, et l'allemand Vaterland : pays natal ?) est un road-trip destroy à travers l'Allemagne tout juste réunifiée, mais côté ouest, avec départ dans l'île de List, au nord du pays, et arrivée en Suisse, sur le lac de Constance, via Kampen, Hambourg, Francfort, Karlsruhe (en fait, plutôt Heidelberg), Munich, Meersburg et Zurich. A chaque étape, le narrateur, dont on ignore le nom, un snobinard décadent et friqué, totalement alcoolique, oisif, misanthrope, tête-à-claques mal élevé et grand adepte du name dropping, selon qui « tout est incroyablement pourri dans ce monde », retrouve et squatte des connaissances, participe à de pathétiques soirées, drague minablement, se saoule lamentablement, puis passe à la ville suivante, par n'importe quel moyen de transport à sa disposition : sa propre Triumph, qu'il abandonnera en route, le train, l'avion, ou encore la Porsche 912 de 1966 du malheureux Rollo, rejeton paumé de riches hippies qui finira noyé dans le lac de Constance. « Peut-être la Suisse est une solution à tout », s'interroge le narrateur, pince-sans-rire.
En cours de route, il s'abandonne à de nombreuses digressions, par exemple sur Isabella Rossellini, ou Ernst Jünger, et surtout les nazis, qui sont sa véritable obsession. Il en voit partout. « A partir d'un certain âge, tous les Allemands ont l'air de gros nazis », assène-t-il, péremptoire. Parmi les morceaux de bravoure, une rave party dans un champ, près de Munich, qui lui évoque le Jardin des délices de Jérôme Bosch, où il voit une allégorie du monde moderne, et un pèlerinage au cimetière de Kilchberg, à la recherche de la tombe de Thomas Mann, qu'il ne parvient pas à trouver ! Ensuite, que deviendra-t-il ? Le roman ne le dit pas, qui joue de l'humour à froid, de la provocation, moque la mauvaise conscience collective des Allemands par rapport à la guerre et au nazisme, et entraîne le lecteur dans une fuite en avant, une fête triste. Ce voyage aurait dû se poursuivre jusqu'à Venise.
Faserland - Traduit de l’allemand (Suisse) par Corinna Gepner
Phébus
Tirage: 2 700 ex.
Prix: 17 euros ; 160 p.
ISBN: 9782752911056