De mieux en mieux ! Les 64 dossiers que les jurés du 2e grand prix Livres Hebdo des Bibliothèques ont eu à départager étaient excellents. Les bibliothèques qui ont décidé de participer à un ou plusieurs de nos prix thématiques - accueil, animation, espace intérieur, innovation - nous ont présenté des réalisations stimulantes et originales, toujours bien conformes à l'esprit de cette initiative : doper la fréquentation des établissements et encourager la lecture en mettant le public au coeur des réflexions et des projets.
"En découvrant les dossiers pour ce jury, j'ai été émerveillée et impressionnée par la richesse et la qualité de proposition et de réalisation des bibliothèques, constate Françoise Nyssen, P-DG d'Actes Sud. Petites ou grandes, universitaires ou de quartier, elles font preuve d'un engagement et d'une volonté farouche de servir le lecteur et le livre."
Cette année, nous avons innové en ouvrant notre prix aux bibliothèques universitaires. La diversité des dossiers s'en est trouvée accentuée. Mais c'est bien le but recherché : montrer la variété de l'offre des bibliothèques selon la taille de l'agglomération où elles sont installées et le type de public auquel elles sont confrontées.
Du coup, les discussions des jurés ont été très vives. Est-ce parce que la bande dessinée a tardé à trouver toute sa place dans les bibliothèques ? Zep, le président du jury, a été le plus acharné à défendre les dossiers les plus innovants et témoignant de la plus grande ouverture à tous les publics.
Sans surprise, cette préoccupation est également celle de Sergio Dogliani, le fondateur des bibliothèques Idea Stores, à Londres. Pourtant, il a eu à ferrailler avec le créateur de Titeuf pour l'attribution du grand prix. Zep était un chaud partisan de la bibliothèque universitaire d'Angers, et Sergio Dogliani, qui a fini par rallier l'ensemble du jury au 3e tour de scrutin, soutenait la petite bibliothèque parisienne Louise-Michel. Deux établissements totalement différents par leur taille et leur vocation, mais partageant le même souci d'adéquation avec les besoins de leur public.
Avec le prix de l'Espace intérieur à la médiathèque Marguerite-Duras - en rivalité avec celle de Levallois-Perret -, deux bibliothèques parisiennes sont distinguées cette année. Un score improbable il y a seulement dix ans, qui témoigne bien du nouveau dynamisme du réseau des bibliothèques de la Ville de Paris.
DIFFICILES À DÉPARTAGER
Si Condé-sur-Noireau a obtenu presque à l'unanimité le prix de l'accueil - malgré tout de même le coup de coeur de Françoise Nyssen et d'Evelyne Didier pour l'accueil de la bibliothèque de Saint-Georges-de-Reintembault -, il a été difficile de départager Châlons-en-Champagne, avec ses astucieux petits assortiments "Prêts à partir", et Noisy-le-sec, avec ses listes, pour le prix de l'Animation. Le prix de l'Innovation, lui, est revenu, à l'unanimité du jury, à la BU Saint-Serge d'Angers, pour ses multiples innovations qui en font, selon le directeur de la BPI, Patrick Bazin, "une véritable maison du savoir, c'est-à-dire une bibliothèque dont les pilotes ne cessent d'apprendre en même temps que leurs usagers".
Grand prix : Louise-Michel, Paris
Louise-Michel est un peu un ovni dans le réseau de lecture publique parisien. Née au printemps dernier, cette petite bibliothèque familiale de 600 m2, ouverte 35 heures par semaine, respire la grâce et la liberté. Toutes les générations et toutes les cultures de ce quartier du XXe arrondissement populaire s'y côtoient harmonieusement (même si la directrice Blandine Aurenche, telle une maîtresse de maison soucieuse du confort de ses invités, murmure parfois à un enfant un peu trop turbulent de se calmer). Les 30 000 documents qu'elle offre en prêt ou en consultation sont soigneusement choisis, souvent renouvelés et disposés sur des présentoirs comme dans une librairie. "Et si certains lecteurs ne trouvent pas leur bonheur, ils peuvent facilement aller à pied à la grande Marguerite-Duras », explique Blandine Aurenche, qui se réjouit de ce tandem entre les deux établissements. Chez elle, les enfants sont choyés. Chaque soir, ils se bousculent pour annoncer au micro la fermeture de la bibliothèque.
CE QU'EN PENSE LE JURY
"La bibliothèque Louise-Michel est un exemple remarquable de ce que devrait être une bibliothèque du XXIe siècle : un lieu de rassemblement de tous les publics à une époque où la cohésion sociale est une priorité et un facteur de succès pour un établissement culturel. Alors que certains pensent grandes bibliothèques et grandioses déclarations architecturales, Louise-Michel démontre que l'on peut combiner, dans une période de crise, la beauté, la force et la grâce, tout en étant performant. Le monde des bibliothèques françaises a de la chance d'avoir un nouveau modèle à suivre, un lieu confortable, vivant et chaleureux où les gens se sentent comme chez eux pour lire, apprendre, échanger, se respecter... Louise Michel elle-même serait très fière d'une bibliothèque comme celle-ci." (SERGIO DOGLIANI, IDEA STORES, LONDRES)
"J'ai eu un coup de coeur pour le dossier présenté par l'équipe : une lettre par catégorie de prix, claire, sans fioritures et détails excessifs, juste une profession de foi, sincère et évidente. On sent que cette bibliothèque se vit comme une authentique maison de quartier, portée par une équipe engagée et déterminée. C'est important dans une société où l'efficacité, l'économique, la productivité l'emportent souvent sur l'humain et le qualitatif. [...] Tous les ingrédients pour le grand prix sont rassemblés dans cette candidature : l'accueil personnalisé, l'espace intérieur inspiré des cafés et des librairies qui donne envie de s'arrêter et de s'installer, les animations variées (lectures sur les tapis, arrosage du jardin avec les enfants, histoires partagées avec des parents et enfants de la PMI et du centre d'hébergement, club de lecture, ciné-club, "café Louise" pour échanger sur les lectures...). C'est aussi un lieu d'innovation, pas au niveau technique, mais dans la manière de penser la bibliothèque en facilitant l'accès à tous les publics : les bobos côtoient les familles moins favorisées, les ressortissants du centre d'accueil pour demandeurs d'asile, les malades de l'hôpital de jour voisin..."(FRANÇOISE NYSSEN, ACTES SUD)
Prix de l'accueil : L'Atelier, Condé-sur-Noireau
Condé-sur-Noireau, c'est une petite ville du Calvados qui a la chance de posséder une bibliothèque pas comme les autres. En pleine rue centrale, à la place d'un ancien magasin de confection - d'où son nom L'Atelier -, elle est le lieu de vie et de référence de la ville. Là où l'on vient en famille emprunter des livres et des DVD, où les écoliers viennent réviser leurs devoirs (et jouer à des jeux vidéo), où les demandeurs d'emploi viennent surfer sur Internet, où les touristes viennent se renseigner... Car depuis son ouverture, il y a vingt ans, cette bibliothèque, portée avec une ardeur peu commune par sa responsable Isabelle Vazard, n'a cessé de s'agrandir (1 350 m2 aujourd'hui) et de s'enrichir de services nouveaux à l'image des "Kulturhus" des campagnes nordiques : office du tourisme, Point info 14, Pôle emploi, Urssaf, etc. Atout supplémentaire, elle ouvre sur un vaste jardin qui se transforme à l'occasion en salon de lecture ou en salle de bal, et elle donne accès au musée de la ville contigu, ce qui lui permet d'ouvrir ses portes le dimanche après-midi.
CE QU'EN PENSE LE JURY
"L'accueil n'est pas le supplément d'âme, mais une composante essentielle de la bibliothèque quand on se place du point de vue de la population à laquelle elle s'adresse. Inscrite dans la continuité du paysage urbain, L'Atelier offre aux citoyens sa vitrine, montrant ainsi son existence au milieu de la population et non pas à l'écart ou en dehors. Une fois entré, le visiteur accède facilement à l'espace presse judicieusement installé à proximité immédiate d'une cafétéria accueillante. Surtout, l'accueil s'incarne dans le personnel "obsédé" par le souci du service à la population. La responsable insuffle cet esprit à son équipe et les bureaux du personnel prennent leur place comme une évidence dans l'espace public de la bibliothèque. C'est un formidable signal d'accueil et en même temps un moyen d'ouvrir 36 heures par semaine !
Ce sens de l'accueil qui transpire de cet établissement ne relève pas de l'affichage. Les habitants le valident en votant avec leurs pieds. Le nombre de visites que la bibliothèque enregistre équivaut à celui d'une bibliothèque d'une commune de 20 000 à 25 000 habitants alors que Condé-sur-Noireau en rassemble à peine 6 000. Nul doute que cet équipement sera un atout bien utile à l'heure où la commune fait face à la fermeture d'une usine qui y est implantée depuis des années." (CLAUDE POISSENOT, SOCIOLOGUE)
Prix de l'animation : Roger-Gouhier, Noisy-le-Sec
Il était une fois, à Noisy-le-Sec, une bibliothécaire amoureuse des listes qui s'appelait Marie-Christine Magnier. Un jour, elle dit à ses collègues : "On ne cesse de faire des listes pour nous, pour les usagers pressés, et si on en faisait un jeu ? » L'idée, toute simple, a germé, s'est répandue, a séduit toute l'équipe de la médiathèque. Secrets de famille, romans qui se lisent en moins d'une heure, musiques psychédéliques, CD les plus empruntés... Toutes sortes de listes, des plus sérieuses aux plus loufoques, ont été affichées sur les murs de la médiathèque Roger-Gouhier (du nom du maire à l'initiative de l'établissement, construit il y a quinze ans). Chacun, bibliothécaires ou lecteurs, y alla de son imagination pour compléter, biffer, commenter la liste... "C'était formidable car tout le monde était mobilisé, cela créait une réflexion sur nos collections, sur les demandes des lecteurs », raconte la directrice Marion Serre. Du coup, l'animation a pris des allures vertigineuses : de grands kakémonos ont orné les murs du hall, assortis des documents à emprunter, un site Internet a été spécialement créé (www.mediatheque-noisylesec.org/webliste), sur lequel les lecteurs proposaient leur liste, et tout s'est conclu dans un joyeux cabaret d'improvisation théâtrale autour de ces inventaires créatifs.
Depuis quelques mois, le site s'est un peu endormi, se contentant de proposer quelques play-lists avec de la musique à télécharger. "Mais le prix Livres Hebdo, assure l'équipe ravie de se voir récompensée, nous donne déjà envie de recommencer... » Et elle n'avait pas encore vu le dessin de Zep !
CE QU'EN PENSE LE JURY
"Liste des musiques à éviter quand on est suicidaire, liste de titres bizarres, liste de romans avec bibliothécaires et avec des libraires, liste de romans à New York, liste des livres à lire avant de se marier... Voilà un extrait des listes collectées par le biais d'un "appel à la liste" à la bibliothèque de Noisy-le-Sec.
Etablir des listes est une des malédictions du travail de bibliothécaire, mais ici, cela devient un jeu. Un jeu si simple qu'il est ouvert à tous. Une petite fille envoie la "liste de ses dix livres les plus géniaux qu'elle a jamais lus". Tout le monde participe puisque, au fond, chacun est le meilleur spécialiste de ses propres goûts ou de son approche du livre. Mention spéciale pour la "liste des plus belles moustaches de la littérature"... Une entrée aussi insolite qu'irrésistible. Une belle idée, toute simple, à rééditer, à propager !"(ZEP)
Prix de l'espace intérieur : Marguerite-Duras, Paris
Hier sous-équipé, le XXe arrondissement déploie ses ailes en matière de lecture publique. A un quart d'heure à pied de sa petite soeur Louise-Michel, qui lui vole le grand prix, Marguerite-Duras a ouvert ses portes il y a un peu plus d'un an, rue de Bagnolet. C'est la plus spacieuse des bibliothèques parisiennes (4 250 m2) et l'une des moins intimidantes. Vitrine sur la rue, porte qui s'ouvre automatiquement, fluidité de circulation dès l'entrée, personnel accueillant, multiplicité d'ambiances différentes... L'équipe de 50 personnes qui gère cet établissement est très soudée autour de la directrice Christine Péclard et s'évertue à rendre ce bel outil le plus utile possible à ses usagers, y compris le dimanche après-midi (une rareté à Paris) : outre le million de prêts de documents réalisé en un an, l'action culturelle et l'accueil des groupes a permis à 15 000 visiteurs de profiter des services de la médiathèque pendant sa première année d'existence.
CE QU'EN PENSE LE JURY
"Dans un bâtiment très visible et accessible, les espaces baignant dans la lumière naturelle se déploient très simplement. La circulation est aisée, les zones bien distinguées : loisirs, travail, salons de lecture, enfance... La signalétique est remarquable et bien adaptée. Quelques touches de couleur amenées par le mobilier et des niches dans les murs égayent l'ensemble des volumes.
C'est un lieu convivial, ouvert où l'on peut se détendre et venir aussi pour les loisirs ou pour travailler, où les publics peuvent cohabiter sans problème et trouver des endroits qui leur conviennent. J'ai particulièrement apprécié l'espace exposition, facilement repérable mais néanmoins protégé du bruit, le patio accessible par l'espace enfance et la présence de la lumière naturelle à tous les étages. » (EVELYNE DIDIER, BM DE BÉZIERS)
"La médiathèque Marguerite-Duras, conçue par les architectes Roland Castro et Sophie Denissof en verre, béton et bois, est une belle réussite architecturale. L'espace est très esthétique, très vivant, conciliant la transparence et la convivialité. Décloisonné, il permet la circulation des usagers, mais offre aussi des espaces pour celui qui aurait envie de s'isoler dans un lieu plus intime et propre à la lecture individuelle. »
(COLETTE KERBER, LIBRAIRIE LES CAHIERS DE COLETTE)
Prix de l'innovation : BU Saint-Serge, Angers
Le "Bibcamp" à la française organisé par la bibliothèque universitaire d'Angers le 15 janvier dernier avait rassemblé de façon non conventionnelle 140 jeunes professionnels qui ont pu partager de façon concrète et en toute transparence leurs expériences et leurs pratiques. Cette réussite fait partie des nombreuses initiatives innovantes que prend la BU Saint-Serge, menée de main de maître par Olivier Tacheau et déjà très remarquée de la profession. Bénéficiant d'une extension (passant de 2 500 à 5 000 m2) et d'une complète réhabilitation, l'établissement a vécu une nouvelle naissance en 2010 : gratuité, ouverture au grand public, automatisation des prêts et des retours, site Internet, et surtout, pour le plus grand plaisir des étudiants, une ouverture de 84 heures hebdomadaires (après 18 heures, seuls trois moniteurs étudiants et un agent de sécurité sont présents, tandis qu'un conservateur reste joignable par téléphone en cas d'urgence...).
CE QU'EN PENSE LE JURY
"On peut considérer que c'est dans le contexte de la lecture publique que les bibliothèques expriment le mieux toutes leurs potentialités et qu'il est plus rare de tomber sous le charme d'une bibliothèque universitaire, fût-elle française. C'est mon cas pourtant devant la nouvelle BU d'Angers, car elle joue avec brio d'une large gamme d'initiatives se complétant de façon dynamique et ne laissant aucune place à la routine.
La qualité des espaces, flexibles et propices à de multiples usages : une ouverture à tous, étudiants ou non, en coeur de ville, alliée à une amplitude horaire impressionnante ; un dispositif bien pensé d'accompagnement des lecteurs ; une présence inventive sur le Web ; le souci de se renouveler sans cesse par l'évaluation des pratiques et le partage de la réflexion avec d'autres professionnels lors d'un fameux Bibcamp. Voilà quelques-uns des ingrédients qui font de la BU d'Angers une véritable maison du savoir, c'est-à-dire une bibliothèque dont les pilotes ne cessent d'apprendre en même temps que leurs usagers. Une bibliothèque exemplaire en somme."(PATRICK BAZIN, BPI)
