20 août > Roman France

Neuilly, années 1950. Le petit Jean-Pierre a quitté son Liban natal depuis peu. La semaine, il est "consigné" dans son pensionnat, sorte de maison de redressement pour gosses de riches. Le week-end, il lui arrive de tomber sur son père, un diplomate qui fait des affaires et beaucoup d’argent. Celui-ci est prodigue en cadeaux et argent de poche, précisant toujours à son fils : "C’est pour te faire des amis. Pas pour jouer." Jean-Pierre Rassam saura t-il s’en souvenir ?

Christophe Donner, lui, ne l’a pas oublié. Dans Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive (une phrase d’Orson Welles, qui en connaissait un rayon en matière de génie fracassé), il fait revivre Rassam, moins comme un flambeur, un joueur abusé par ses propres tours, pris de vitesse par ses addictions et par son goût des choses finissantes, que comme un type qui se perdra faute d’avoir jamais trouvé un interlocuteur durablement valable ou d’avoir su le garder. Dans le gâchis lumineux que fut la vie de Jean-Pierre Rassam, ceux qui s’en rapprochèrent le plus furent Claude Berri et Maurice Pialat. A eux trois, ensemble, l’un avec ou contre les autres, suivant les époques, ils entreprirent de changer le cinéma ou même le visage de leur époque. Sans doute n’avaient-ils pas compris, ou avaient déjà oublié, qu’ils étaient des enfants de l’après : après l’ère des grands studios et après celle de la nouvelle vague, après-guerre, aussi. Rassam, sans foi ni loi autre que celle de son plaisir (fût-ce celui de déplaire), dernier nabab, dernier aventurier du cinéma français (après Raoul Lévy, les frères Hakim, Georges de Beauregard), réfugié dans son rêve évanoui autant que dans une suite du Plaza Athénée, aura eu le temps de se comporter comme "l’outlaw" qu’il était de toute éternité. Peu de choses en témoignent encore : quelques films (Nous ne vieillirons pas ensemble, La grande bouffe, les Godard pro-palestiniens), quelques femmes, un enfant et quelques livres, de Jean-Jacques Schuhl (Ingrid Caven), une biographie de Mathias Rubin (Rassam le magnifique, Flammarion 2007) et donc, désormais, celui-ci, hommage ému, mais sans participer au "denier du culte", de Christophe Donner.

Donner est trop profondément écrivain pour n’avoir pas gardé des aventures de Rassam & Cie, de cette camelote mythologique, ce qui avait partie liée avec la littérature : sa jeunesse, sa beauté. Il y a chez ces jeunes gens qui fomentent dans leurs chambres autant de complots, y font l’amour, s’y défoncent ou s’y donnent la mort, que la lourdeur des temps exaspère, un côté "enfants terribles". Donner, entomologiste fasciné, montre tout ça, qui n’a pas d’âge, qui ne vieillira pas et qui se terminera très mal, dans les antichambres de la folie et du dégoût. Olivier Mony

Les dernières
actualités