Le 31 décembre 2019, afin de clôturer une bien mauvaise année pour le chef Marc Veyrat, le Tribunal de grande instance de Nanterre l’a débouté de son action contre le guide Michelin lui ayant ôté troisième étoile, à l’instar de ce qui vient d’arriver au restaurant du défunt Paul Bocuse.
Marc Veyrat exigeait « la communication des informations (telles que) les factures, notes de frais et/ou justificatifs liés au passage dans son restaurant des inspecteurs employés et/ou mandatés par la société Michelin, afférents aux
109ème édition 2018 et pour la 110ème édition 2019 du guide ». Il demandait aussi les « méthodes d’évaluation qui ont servi de cadre aux inspecteurs du ayant procédé à l'évaluation du restaurant la Maison de bois » et notamment la liste intégrale des critères sur lesquels ils se sont appuyés pour fonder « leurs décisions ainsi que leur système de notation », mais aussi les « documents préparatoires et comptes-rendus de réunion », incluant « toutes les notes récapitulatives liées à leur passage, les grilles de notation relatives à l'évaluation du restaurant ».
Enfin, le cuisinier réclamait les « procès-verbaux, comptes-rendus et notes récapitulatives des débats », (…) les « noms, diplômes et expériences professionnelles en matière d'art culinaire et de gastronomie des inspecteurs ».
Marc Veyrat estimait en outre que « la communication dans la presse par la société Michelin d'un extrait de procès- verbal de constat d'huissier destiné à attester de la réalité des passages des inspecteurs est insuffisante à rapporter la preuve de la réalité du passage d'un ou plusieurs inspecteurs, ni la mise en œuvre de leur méthode d'évaluation ainsi que des discussions collégiales ayant précédé la perte de la troisième étoile ».
Règle d'or
Michelin soulignait que le motif légitime ne saurait dégénérer en un droit de savoir et rappelle que la jurisprudence retient en outre comme critère du motif légitime, la proportionnalité de la mesure, le juge veillant aux intérêts légitimes de la partie poursuivie et à l'absence de violation de dispositions d'ordre public et en particulier en matière de règle de preuve touchant à la liberté d'expression ou de respect de la vie privée. L’éditeur concluait que la mesure d'instruction, telle que demandée et violant « la règle d'or » de l'anonymat des inspecteurs du guide porterait une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression, et ainsi à la liberté de critique, garantie par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Les juges relèvent que Marc Veyrat « ne produit aucune pièce relative à l'existence d'un dommage et à la réalité » de son préjudice. De plus, « pour obtenir la levée de l'anonymat des critiques gastronomiques, ainsi que celle du secret qui entoure leurs méthodes et critères d'évaluation des établissements référencés, anonymat qui participe de leur liberté d'expression, elle-même intrinsèque à la critique, il appartient à Monsieur Marc Veyrat de justifier du caractère proportionné de cette demande au regard du but poursuivi ».
Et de condamner celui-ci au paiement de la somme de 1500 euros de frais de procédure.
En réalité, les éditeurs de guides gastronomiques s’ils respectent les limites de simple tolérance bénéficient d’un « droit de critique ». Mais le droit de critique, tout comme le droit à la polémique, n'existent pas en tant que tels. Il s'agit tout au plus d'une tolérance traditionnelle admise par la jurisprudence. Le 23 janvier 2003, Lyon Mag’ a ainsi bénéficié d’un arrêt favorable de la Cour de cassation, rappelant que « la critique gastronomique est libre et permet la libre appréciation de la qualité ou de la préparation des produits servis dans un restaurant ».
Droit de critique et droit de l'information
À ce titre, les magistrats peuvent même accepter que les critiques soient parfois extrêmement vives. Ils ont toutefois depuis longtemps souligné que cette tolérance ne peut permettre de s'affranchir totalement des règles draconiennes qui président au droit de l'information.
De plus, les juges ont, à de nombreuses reprises, rappelé que la critique doit rester objective, c'est-à-dire qu'elle doit être « émise en termes qui peuvent être sévères mais qui doivent toujours demeurer corrects et dépourvus d'intentions malveillantes et (si) elle ne dégénère pas en dénigrement injurieux ». Le poissonnier qualifié de « danger public » a ainsi obtenu gain de cause, devant la Cour de cassation, le 24 septembre 1996.
Mais, le 8 février 1994, la même juridiction a estimé que l’auteur d’un article de Cuisine et Vins de France « s’est borné, après un dîner dans un restaurant, à faire, en sa qualité de critique gastronomique, des commentaires s’inscrivant dans la série de comptes-rendus effectués à la suite de visites périodiques dans divers établissements de même nature et régulièrement mis à jour ; (…) il a agi sans malveillance, sans omettre de mentionner tous les éléments que le devoir d’objectivité commandait d’insérer pour informer les lecteurs et les futurs consommateurs ».
Enfin, il a déjà été jugé que la critique est libre tant qu'elle ne met pas en cause, non seulement la personnalité du restaurateur, mais aussi sa considération professionnelle et sa probité. Les juridictions sanctionnent inéluctablement les « digressions diffamatoires ».
Le 4 février 2003, la Cour d’appel de Colmar a cependant donné raison à l’éditeur de Gault Millau, poursuivi pour avoir éreinté un chef en ces termes : « un homme d’affaires avisé qui s’est mis dans l’air du temps et a imaginé un concept ; celui du car de touristes allemands épris d’exotisme au point de tâter de la choucroute hors de leurs murs ; résultat : une caricature de cuisine alsacienne »…