On attendait son retour depuis un peu plus de dix ans. Depuis la sortie de Stallone (Gallimard 2002, repris en Folio), longue nouvelle d'abord parue dans Le Monde. Le nom d'Emmanuèle Berhneim, on le croisait parfois au générique d'un film de François Ozon, mais plus sur la couverture d'un volume de la collection blanche. La revoici avec un récit autobiographique incroyable, Tout s'est bien passé. Où elle détaille ce qu'il est advenu après que son père a fait un AVC et s'est retrouvé, à 88 ans, à l'hôpital. Homme excentrique qui s'est "toujours remis de tout", André Bernheim ne peut alors plus écrire et bientôt plus parler. A sa fille Emmanuèle, il demande sans ambages : "Je veux que tu m'aides à en finir." En France, la chose est compliquée à réaliser. Pas en Suisse, où l'on accepte la "mort volontaire" et où il est possible de partir dignement.

Dans un bureau de son éditeur, Emmanuèle Berhneim évoque un texte bouleversant dont elle a eu du mal à trouver le ton. Une sorte de "replay", comme au football, "avec des ralentis, des accélérations". Qui lui a permis de raconter une "histoirefolle", dont elle n'aurait pas pu faire un roman, et un père tout "sauf paternel".

Jusqu'ici, cette femme à l'oeil bleu pétillant, en jeans, Converse et écharpe violette, n'avait jamais écrit à la première personne. On lui doit une poignée de courts romans très physiques et visuels, au style affûté. Le premier, Le cran d'arrêt (Denoël, 1985, repris en Folio), elle l'attaque après un voyage au Mexique. Avant cela, il y a eu une petite enfance à Elbeuf, dans une maison avec jardin. Puis une adolescence "atroce" à Paris, pendant laquelle elle a envie de "tuer tout le monde". Elle trouve refuge en regardant "des milliers de films" à la télévision et en dévorant les nouvelles du Mur de Jean-Paul Sartre qui lui "sauvent la vie".

"Un élan vital"

Après une licence de japonais aux Langues O, elle entame une analyse à l'orée de ses 20 ans. Elle entre comme stagiaire chez Marin Karmitz, puis aux Cahiers du cinéma, responsable des archives photos. Une époque où elle va voir Rocky 3, de et avec Sylvester Stallone, accompagnée des cinéastes Laurent Perrin et Pascal Bonitzer. Un choc absolu, au point d'avoir "40° de fièvre" le lendemain, sur lequel Serge Daney lui conseille d'écrire. Ce qu'elle mettra des années à faire. Pour ce qui deviendra Le cran d'arrêt, elle songe d'abord à décrypter une histoire d'amour. Lit pour cela un volume de la collection "Harlequin" et le referme en se disant qu'elle est nettement plus intéressée par la violence. Jean-Paul Fargier, confrère des Cahiers qui a réalisé Sollers au Paradis, l'incite à adresser le manuscrit à l'auteur de Femmes. Avec le résultat qu'on sait.

Emmanuèle Bernheim explique qu'elle écrit peu. Qu'elle a besoin de ressentir un "élan vital", un "besoin impérieux". Cela a été le cas pour Un couple (Gallimard, 1987, repris en Folio). Pour Sa femme (Gallimard, 1993, repris en Folio), couronné par le prix Médicis. Pour Vendredi soir (Gallimard, 1998, repris en Folio), porté à l'écran par Claire Denis avec Vincent Lindon et Valérie Lemercier. Et pour Stallone, le livre d'elle qu'elle préfère : "L'aboutissement de ma carrière de collectionneur", lâche-t-elle avec humour en citant Dalio dans La règle du jeu.

Au cinéma, où elle a un rôle de sparring partner, Emmanuèle Bernheim se prétend meilleure "lectrice et docteur que scénariste". Outre ses collaborations régulières avec Ozon, elle a ces dernières années travaillé avec Jean-Paul Rappeneau sur un film qui ne s'est finalement pas fait. Comme cela a aussi été le cas pour Plateforme, dont elle a signé le scénario avec Michel Houellebecq, qu'elle dépeint "craquant, attendrissant et drôle", mais qui a renoncé à passer derrière la caméra. Membre depuis deux ans du jury Médicis, elle s'est réjouie du choix d'Emmanuelle Pireyre et aurait volontiers couronné le Joseph Anton de Salman Rushdie qui l'a bluffée.

Tout s'est bien passé, elle l'a terminé en juin et en a trouvé le titre quasiment au début. Le résultat ressemble à ce qu'elle souhaitait. Son seul regret : que son père ne puisse pas le lire tant elle croit qu'il s'y serait retrouvé.

Tout s'est bien passé, Emmanuèle Berhneim, Gallimard, 206 p., ISBN : 978-2-07-012434-3. Sortie : 3 janvier.

Les dernières
actualités