Le titre est incomplet. Si Tahar Ben Jelloun s’entretient en effet avec sa fille du terrorisme et de ses origines, il s’agit surtout du terrorisme islamique. Certes, il évoque brièvement l’histoire du mot et les réalités qu’il désigne, de la Révolution française aux attentats anarchistes du XIXe siècle, mais l’essentiel de la discussion tourne autour de la compatibilité de l’islam avec la laïcité. L’auteur de La nuit sacrée (Seuil, 1987) veut y croire. Mais il se souvient d’une conférence au Maroc qui avait mal tourné lorsqu’il refusa de répondre à la question de savoir s’il était croyant. C’était en 1977. Entre l’islam communautaire et la laïcité individualiste, la chose n’est pas simple. Dans ce dialogue, l’écrivain marocain met toute sa fougue à expliquer que le vrai islam n’a rien à voir avec celui inventé par al-Qaida ou Daech, que Mahomet est un prophète radieux et que le Coran est un texte magnifique. On voit bien tout de même qu’il reste inquiet des manifestations islamophobes, mais aussi de l’intolérance qui gagne du terrain. Ceux qui combattent pour la terreur le font au nom d’un dieu qu’ils ont refaçonné à coups d’ambitions politiques. Quant au débat sur la laïcité, il semble pour le moment impossible dans un islam qui reste sacré. Pour Tahar Ben Jelloun, ce refus s’explique aussi par un sentiment de peur, une vulnérabilité chez les musulmans qui craignent d’être dépossédés de leur religion par les fanatiques d’un côté et par les laïcs de l’autre.
Certes, il ne faut pas s’en cacher, l’islam fait peur, mais il pourrait finir par avoir peur de lui-même. Cet essai n’a pas la prétention de faire le tour d’horizon du terrorisme mais de montrer pourquoi et comment une frange de l’islam s’est trouvée engagée dans cette guerre sans nom. Il pointe aussi quelques responsabilités : la faillite du système éducatif, la démission des parents, celle encore plus grave de l’Etat et des politiques, enfin les tuyaux d’Internet et des réseaux sociaux qui diffusent les images de propagande.
Faisant suite à L’islam expliqué aux enfants (et à leurs parents) (Seuil, 2012), Tahar Ben Jelloun exprime aussi le problème posé à l’islam par la femme et surtout par le corps de la femme que l’on s’emploie à dissimuler et à limiter dans sa liberté. Il rejoint ainsi les positions d’un Kamel Daoud, qui évoquait dans une tribune du Monde, à propos des agressions sexuelles à Cologne au Nouvel An 2016, un "rapport malade à la femme, au corps et au désir". De ce point de vue, les terroristes se comportent comme des frustrés dopés aux hormones de la haine. C’est en fait le corps de l’islam que nous montre Tahar Ben Jelloun, un corps spirituel et matériel dénaturé par une minorité agissante et qui le rend terrifiant, y compris aux yeux des musulmans qui en sont les premières victimes. L. L.