C'est une biologiste, une grande dame de la science, une grande dame tout court. Après quelques ouvrages savants publiés chez Odile Jacob (Les cellules souches, porteuses d'immortalité en 2007 ou Des chimères, des clones et des gènes en 2000), Nicole Le Douarin a attendu ses 80 printemps pour raconter son itinéraire exceptionnel de femme et de chercheuse, itinéraire couronné en 1986 par la Médaille d'or du CNRS.
Néanmoins, pour en savoir un peu plus sur sa jeunesse bretonne, il faut lire la préface-portrait de ses amies, les historiennes Mona Ozouf et Michelle Perrot. Elles furent toutes les trois professeures au lycée de Caen. Mais Nicole Le Douarin, qui avait commencé par des études de lettres, enseignait déjà les sciences naturelles. La passion des sciences l'avait définitivement happée.
Dans ce parcours se distingue en filigrane la figure de la mère, institutrice, qui lui communique cette volonté d'émancipation et ce souci constant de transmettre. On le ressent à chaque page du livre comme on le voyait en 2000 lors de l'émission "Bouillon de culture". Même quand cela est complexe, Nicole Le Douarin veut faire comprendre le "mésenchyme hépatique" ou le "bourgeon endodermique" à ses lecteurs comme elle essayait déjà avec Bernard Pivot.
On doit en effet à Nicole Le Douarin la fabrication à la fin des années 1960 de "chimères" génétiques caille-poulet - une sorte de fusion d'embryons -, l'observation de la "crête neuronale", qui a permis des avancées spectaculaires dans la connaissance des systèmes nerveux, et la compréhension du rôle des "cellules souches" en embryologie. Cela lui a valu de nombreux titres de docteur honoris causa dans les plus prestigieuses universités étrangères, et son nom fut souvent cité pour le prix Nobel.
Et puis il y eut des rencontres. On retiendra l'hommage à son maître en biologie, Etienne Wolff, l'évocation de son premier mari aujourd'hui disparu, Georges Le Douarin, ses étudiants, ses confrères français et étrangers, ses collègues de l'Académie des sciences dont elle est secrétaire perpétuelle honoraire ou du Collège de France où elle fut titulaire de la chaire d'embryologie cellulaire et moléculaire pendant douze ans ; bref tout ce qui fait l'ordinaire d'une carrière extraordinaire.
Tout cela au service d'une ambition : "Comprendre comment, à partir d'une cellule unique, un organisme se développe." Avec deux éléments saillants : la difficile accession des femmes au monde de la recherche et la nécessité démocratique de diffuser la culture scientifique. Cette enquête passionnée sur le fonctionnement du vivant revient aussi sur ce que fut dans la seconde moitié du XXe siècle cette révolution au sein des sciences de la vie dont nous ne mesurons pas encore aujourd'hui toute la portée.