1er mars > Biographie France > Dominique Bona

Libre, sensuelle, païenne, terrienne, Sidonie Gabrielle Colette (1873-1954) était l’un des êtres les plus doués pour le bonheur. Les chagrins, les deuils, elle en a subi comme tout le monde, mais elle a toujours essayé de passer outre. Par exemple, elle ne se rendait jamais aux enterrements, même de ses intimes, préférant conserver d’eux, d’elles surtout, un souvenir vivant. "La mort ne m’intéresse pas, disait-elle, superbe, et surtout pas la mienne." La scandaleuse, aux mœurs fort en avance sur son temps - elle a dansé presque nue, s’est adonnée aux amours saphiques, est tombée, dans les années 1920, amoureuse de Bertrand de Jouvenel, qui était à la fois son beau-fils et mineur..., la journaliste, romancière, chroniqueuse célèbre à l’œuvre considérable, qui eut droit à sa mort, en 1954, à des obsèques nationales, a fait l’objet de nombreux livres : témoignages, essais, biographies. Ses correspondances ont été publiées, notamment celles avec ses trois amies les plus chères : Annie de Pène (sa collègue au Matin, romancière aussi, et mère de Germaine Beaumont), Marguerite Moreno et Musidora - toutes deux danseuses, chanteuses, comédiennes.

Ce sont ces quatre artistes, unies pour la vie, à qui Dominique Bona consacre une biographie originale, tissée comme une tapisserie autour d’un épisode particulier, pittoresque : des débuts de la guerre de 14 jusqu’à la fin de 1916 - lorsque la fragile maison de bois s’écroule suite à un orage -, elles vont habiter ensemble dans le chalet des Jouvenel, au 57, rue Cortambert, à Passy. Une vieille baraque de charme, recouverte de lierre et de vigne vierge, sur trois mille mètres carrés de jardin, propriété du baron Henry, le mari de Colette, directeur du Matin, un homme de gauche, anticonformiste et dreyfusard, dont elle était follement amoureuse. Mais Jouvenel avait été envoyé à Verdun, comme tant d’autres. La vie à Paris était sinistre et difficile. La guerre, dont la propagande officielle avait prétendu qu’elle serait une victoire éclair, durait, et l’angoisse avec elle. Et, plus que tout, Colette redoutait la solitude. Les amies ont donc décidé de réunir leurs ressources, leurs talents, leurs forces. Et le chalet a vite pris des allures de phalanstère, de gynécée, voire de harem libertin. Des heures volées au malheur, à la peine : elles cuisinent, travaillent, reçoivent, rient, s’aiment. Tout en n’oubliant pas "leurs hommes" respectifs.

Après 1918, rien ne sera plus comme avant. Annie meurt en octobre de la grippe espagnole. Moreno et Musidora ont leur carrière à mener. Colette, son œuvre et la direction littéraire du Matin. Henry de Jouvenel, son "Sidi", est infidèle, et leur mariage prend l’eau. Ils divorceront en 1925.

De cette parenthèse enchantée, Dominique Bona a fait le récit impeccablement documenté, clair, sensible, amusé, servi par une écriture d’un beau classicisme.
J.-C. P.

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