Livres Hebdo : Le bief a fêté ses 150 ans en 2023. Quel est le but du changement de nom de votre institution, de Bureau international de l’Édition française à France Livre - The French Publishing Network ?
Antoine Gallimard : Depuis 1873, nous avons plusieurs fois changé de nom, ne serait-ce que dans le dernier demi-siècle : Office de promotion de l’édition française, Office de promotion internationale, France Edition avant le Bureau international de l’édition française.
Ce changement d’identité traduit une ambition forte : renforcer l’impact des actions menées et gagner en lisibilité. Il s’inscrit dans la continuité de nos missions clés : valoriser le livre en français à l'international, développer les partenariats éditoriaux avec les éditeurs étrangers et accroître le rayonnement des œuvres des auteurs français dans le monde entier. Cela n’est rendu possible que grâce au soutien des pouvoirs publics au premier rang desquels le ministère de la Culture mais aussi le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères que je veux remercier de leur attention constante. Le nouveau nom s’accompagne d’une identité graphique forte, avec un logo qui symbolise la mise en réseau des éditeurs français avec leurs homologues internationaux.
Nicolas Roche : En réalité, si depuis longtemps notre action est bien identifiée par les éditeurs et partenaires étrangers, nous avions conscience que notre nom leur était difficile à retenir alors même que nous collaborons avec eux au quotidien. Le Bief, le plus souvent hélas prononcé « Beef » par nos interlocuteurs – ce qui était une plaisanterie facile pour amorcer les discours – devait céder la place à un nom plus évident, plus percutant.
En quoi ce nom marque une nouvelle étape ?
A.G. : Le secteur du livre est confronté à des défis majeurs – pression économique sur les acteurs traditionnels, fragilisation des écosystèmes culturels, bouleversements liés à l'apparition de l'IA générative – et France Livre s’impose toujours plus comme un partenaire essentiel, travaillant en étroite collaboration avec les éditeurs (qui sont nos adhérents), quelles que soient leur taille, leur secteur ou leur implantation, en leur apportant des outils adaptés et une expertise concrète des différents marchés.
« Le Paris Book Market est la manifestation du pouvoir d’attraction de l’édition française »
Avez-vous de nouvelles ambitions qui s’incarnent à travers le Paris Book Market (5-6 juin), ou à travers d’autres événements et actions ?
N.R. : La quatrième édition du Paris Book Market qui s’ouvre dans quelques jours est à l’image de ce que nous voulons faire : rassembler des communautés d’acteurs au service des éditeurs. Durant deux jours à Paris et grâce au soutien de la Sofia mais aussi du CFC, près de 260 maisons étrangères seront représentées par des éditeurs d’acquisition venant chercher auprès de 265 éditeurs français et francophones les livres qu’elles publieront dans quelques mois. Déjà plus de 3 500 rendez-vous ont été réservés sur la plateforme, c’est considérable. Le Paris Book Market est la manifestation du pouvoir d’attraction de l’édition française qui a une place bien reconnue. Par ailleurs, nous pérennisons cette année l’ouverture de cet événement à des éditeurs francophones, dans le sillage de toutes les actions que nous menons pour mieux dynamiser les échanges avec ces acteurs.
Qu’il s’agisse d’opérations en France ou à l’étranger, nous sommes un acteur de terrain qui cherche à toujours mieux répondre aux attentes de ses adhérents. Nous testons actuellement de nouvelles formules hybrides pour des marchés lointains avec lesquels nous souhaitons renforcer nos liens.
Le marché du livre est un marché mondialisé. C’est l’occasion de vous interroger sur la domination croissante des livres en anglais. Que faire pour lutter contre cet état de fait ?
A.G. : Comme dans les autres industries culturelles, l’anglais progresse mais le français résiste et plutôt bien, restant et de loin la deuxième langue la plus traduite dans le monde avec près de 14 500 contrats de cessions ou de coéditions conclus chaque année entre les éditeurs français et les éditeurs étrangers. Nous avons la chance d’avoir encore un vaste réseau d’Alliances françaises et d’Instituts français mais il y a là aussi une forme de compétition avec les autres instituts culturels (Goethe-Institut, Instituto Cervantes, British Council) dans un cadre budgétaire contraint.
N.R. : Il faut encore renforcer la solidité des librairies francophones à l’étranger en répondant à leurs attentes sur les délais d’approvisionnement alors qu’elles sont concurrencées par la vente en ligne. Et sur les conditions commerciales que certains distributeurs devraient améliorer. Il y a une certaine urgence. Les éditeurs en langue anglaise sont capables d’offrir des conditions particulièrement attractives aux libraires. Nous devons aussi nous battre sur ce terrain-là.
« France Livre a pour objectif de proposer une politique de choix les plus divers possibles et d’établir des ponts entre tous les acteurs »
Comment analysez-vous la situation géopolitique et géoéconomique et quels impacts percevez-vous pour les éditeurs, à court et moyen-long terme ?
A.G. : La tendance mondiale n’est hélas pas à augmenter le nombre de traductions. Il faut dorénavant passer du temps pour convaincre les éditeurs des pays qui traduisaient peu - se considérant en quelque sorte autosuffisants. C’est désormais le cas avec de nombreux pays ! Certains d’entre eux et pas des moindres sont hélas dans une stratégie qui vise à privilégier les auteurs de leurs propres marchés. Le protectionnisme culturel a tendance à se répandre. France Livre a pour objectif de proposer une politique de choix les plus divers possibles et d’établir des ponts entre tous les acteurs. Enfin, pour des raisons de coûts (de traductions, de promotions) les éditeurs ont tendance à prendre le moins de risques possibles. Je suis convaincu que des nouveaux marchés vont s’ouvrir : les marchés francophones, ceux en langue arabe... Et France Livre continuera de fournir à ses adhérents les outils nécessaires pour leur faciliter la tâche.
Vous revenez d’une opération séduction des éditeurs français aux Etats-Unis. Quel bilan faites-vous de la manifestation et comment analysez-vous l’évolution du marché après le changement d’administration ?
N.R. : Il faut aller voir les éditeurs aux Etats-Unis car ils voyagent moins que par le passé. Ce marché reste particulièrement important et c’est d’ailleurs au cœur de la mission de notre agence sur place, The French Publishers’ Agency. Nous avons en effet organisé à New York des rencontres entre éditeurs français de beaux livres et de livres pratiques avec leurs homologues américains en partenariat avec la Villa Albertine et les éditeurs locaux ont répondu présent. J’y vois une nouvelle marque d’intérêt pour la production française considérée comme très qualitative et originale. Mark Polizzotti, éditeur du Metropolitan Museum of Art, qui participait à la table ronde d’ouverture, évoquait à quel point l’édition française continue de bénéficier d’une image à part au niveau international. En revanche, l’inquiétude de nos interlocuteurs américains était palpable sur de nombreux sujets allant de l’avenir du soutien fédéral à l’industrie éditoriale au blanc-seing semblant être donné aux acteurs de la tech et de l’IA pour permettre l’entraînement de leurs modèles sur des œuvres protégées.
« Nous nous opposons à des augmentations injustifiées que les foires tentent d’imposer »
On sent une dynamique forte de votre institution autour de l’édition indépendante, le plus gros contingent de vos adhérents. Comment se traduit-elle concrètement ?
A.G. : Cela fait partie de notre ADN d’être une structure interprofessionnelle ouverte à tous les éditeurs, quelle que soit leur taille. Notamment grâce au soutien du ministère de la Culture, nous pouvons leur offrir des conditions préférentielles pour participer aux plus grandes foires mondiales et de nombreuses petites maisons d’édition ont en effet adhéré ces dernières années. Nous comptons bien amplifier ce mouvement car l’édition indépendante est l’un des acteurs clés du succès du livre français à l’international. Le programme Tour d’Europe de l’édition indépendante développé par Fontaine O Livres auquel nous sommes associés permet de prendre de petites structures éditoriales par la main pour leur permettre d’appréhender l’international dans leur économie.
Chaque nouvelle édition de Foire internationale voit ses tarifs augmenter… Comment minimiser les coûts et éviter que les rendez-vous cruciaux ne deviennent un luxe pour les éditeurs ?
A.G. : Il faut tout d’abord rappeler qu’un des avantages d’adhérer à France Livre réside justement dans la possibilité de participer à moindre frais aux foires internationales. Grâce au soutien des pouvoirs publics, nous proposons à nos adhérents des tarifs bien inférieurs aux tarifs officiels. Rassemblant une grande partie des éditeurs sur le stand collectif piloté par France Livre – le stand à Francfort s’étale désormais sur près de 1 200 m2, ce qui en fait le plus important de la foire – nous avons un pouvoir de négociation avec les organisateurs.
N.R. : Nous nous opposons à des augmentations injustifiées que les foires tentent d’imposer et qui n’ont comme effet que d’éloigner des acteurs qui devraient y être. Si les éditeurs internationaux continuent à y être moins nombreux, les éditeurs seront moins désireux de s’y rendre ! Les foires doivent réinventer leur modèle et proposer des conditions foncièrement différentes pour les éditeurs étrangers qui doivent payer des frais de déplacement et d’hébergement souvent très onéreux. Elles doivent mieux tenir compte de l’évolution du marché avec des éditeurs plus frileux que par le passé pour se rendre à l’étranger. Or, dynamiser les ventes à l’international, c’est aussi de la prospection, rencontrer de nouveaux partenaires potentiels. Il ne suffit pas d’entretenir des relations dans des réunions en visio mais d’ouvrir tous les champs possibles.