Rien n’arrive jamais par hasard. Pas même la chance. Tout est affaire de combinaisons. Mussolini a profité de la contestation sociale et de la lassitude envers une révolution qui ne vient pas pour sortir le fascisme de l’ombre et accentuer son orientation à droite. Il parvient au pouvoir sans programme et sans perspective dans la violence d’une revanche après une Grande Guerre qui a laissé l’Italie dans une désillusion qui est encore pire que le désespoir. Au même moment, d’autres pays se sont tournés vers la démocratie après le désastre des tranchées. Le Duce, lui, attisera la tentation nationaliste pour s’installer dans la durée.
Emilio Gentile raconte avec un bel élan cette année 1922 durant laquelle Mussolini marche sur Rome et impose le fascisme comme nouvel horizon politique. Certes, le dictateur a finement manœuvré, mais il a douté aussi, et surtout il a bénéficié des erreurs de ses adversaires qui ont loupé les occasions favorables de réinstaller la démocratie en Italie.
C’est le grand intérêt de ce livre passionnant, signé par un spécialiste mondialement reconnu du fascisme. En convoquant tous les protagonistes, en suivant leurs comportements noyés entre la détermination et l’incertitude, il montre comment cela a pu arriver.
Pour Mussolini, faire de la politique revient à combattre les adversaires du fascisme. C’est sa seule légitimité. Il forme un anti-Etat dans l’Etat, comme le dit Gentile, qui finit par l’absorber tout entier. En fait, il profite des élections pour saper la démocratie. On voit ainsi comment le fascisme s’installe presque jour après jour.
Mussolini est un manipulateur qui ne rencontre sur son chemin que la crédulité de politiciens pourtant expérimentés. Quant aux observateurs étrangers, ils sont souvent béats devant ces chemises noires. Ainsi l’ambassadeur de France parle de "dictature légalisée" et de "révolution d’un genre particulier et typiquement italien". C’est oublier la violence des squadristes - les forces paramilitaires - sans lesquels la "marche sur Rome" n’aurait pas été possible.
Gentile en vient à la comparer avec une autre insurrection, celle de la prise de pouvoir par Lénine en 1917. Cinq ans séparent ces deux révolutions d’octobre mais d’orientations contraires d’où sortiront deux totalitarismes du XXe siècle avec deux ennemis communs : l’Etat libéral et la démocratie. Dans cet impeccable démontage, Gentile révèle aussi la nature dramatique de l’Histoire à mesure qu’elle advient tout en soulignant que rien n’est jamais écrit. L. L.