17 mars > Essai France

La jalousie envisagée comme une "géométrie du désir". C’est bien une idée de polytechnicien… Jean-Pierre Dupuy tient d’ailleurs son sujet comme un plan quinquennal, sans jamais sortir des clous, dans sa manière d’envisager la construction d’une souffrance tenue pour élément indépassable de la condition humaine. Il laisse au philosophe Olivier Rey, dans une postface, le soin de réintroduire la notion de jouissance dans cette souffrance via la psychanalyse.

Dupuy l’affirme haut et fort, il aborde la question en disciple de René Girard (1923-2015). Mais il en profite aussi pour montrer sa différence avec le grand anthropologue, inventeur de la théorie du désir mimétique dans Mensonge romantique et vérité romanesque (Grasset, 1961, Pluriel, 2011). Dans cette étude fondatrice, Girard parle aussi de désir métaphysique. Dupuy lui donne un autre nom : jalousie

Selon l’auteur de Pour un catastrophisme éclairé (Seuil, 2002) et de Petite métaphysique des tsunamis (Seuil, 2005), il ne s’agit donc plus d’un triangle, mais d’une autre forme. Pour lui, la jalousie est partout dans l’œuvre girardienne. Elle se tapit non seulement derrière toutes les variations du désir mimétique, mais elle est comme une force cachée qui pousse les individus et les foules à succomber à l’envie, jusqu’à celle d’un café après avoir vu George Clooney… Ce qui nous vaut un passage assez inattendu décryptant la publicité Nespresso à travers le prisme du désir et de la jalousie.

Mais l’essai s’aventure bien au-delà de la tasse à café pour lire autrement la destinée humaine, notamment par le biais des grands classiques. Par exemple, pour Dupuy, Shakespeare se révèle davantage peintre de la jalousie que du désir, car la jalousie suppose la présence d’un rival. Cela fonctionne aussi dans l’œuvre de Proust ou dans L’étranger de Camus. En fait, dans sa théorie générale, Girard aurait découvert non pas un, mais deux principes du désir, le désir mimétique et le désir métaphysique, que Jean-Pierre Dupuy nomme jalousie. Mais pour ce dernier la forme du triangle amoureux serait moins adaptée que celle du cercle vicieux.

Cette relecture de l’œuvre de René Girard, elle-même suivie d’une lecture d’Olivier Rey, s’offre comme une manière d’envisager les rapports humains. Elle est certes contestable, mais, comme disait Péguy, une grande pensée n’est pas celle contre laquelle il n’y a rien à dire, mais celle qui dit quelque chose. Ici, de Shakespeare à George Clooney, le lecteur est servi. What else ? L. L.

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