L'Alliance internationale des éditeurs indépendants fête cette année son 20e anniversaire. Pouvez-vous nous rappeler ses objectifs ?
Face à un contexte de forte concentration éditoriale et une financiarisation de l'édition à la fin des années 1990, L'Alliance a été créée comme un espace de réflexion et de mise en œuvre de pratiques éditoriales alternatives. Il s'agit de mutualiser des moyens, des contenus et des idées pour les faire circuler le plus largement possible, à des prix correspondant aux pouvoirs d'achat locaux. L'enjeu est de faire émerger un discours commun qui reflète les spécificités de chacun, de défendre collectivement la bibliodiversité et l'édition indépendante.
Quelles sont les principales actions mises en place depuis vingt ans ?
Nous développons et renforçons les liens entre les 800 éditeurs membres du réseau. Cela passe par des traductions du Brésil vers Madagascar ou du Cameroun vers le monde arabe mais aussi avec des partenariats éditoriaux solidaires, comme les coéditions solidaires qui peuvent pallier des difficultés de transport ou de douane. Nous avons aussi créé L'Observatoire de la bibliodiversité pour produire des outils et analyses co-construits avec les éditeurs, et le Labo numérique pour les accompagner dans leurs pratiques.
La définition de l'indépendance est-elle différente d'un pays à l'autre ?
Nous n'avons jamais voulu donner une définition mais des éléments d'appréciation de la notion d'indépendance. Elle se construit dans le temps et s'illustre dans un travail avec les librairies indépendantes, dans le respect, autant que possible, des droits des auteurs, traducteurs ou salariés, ou encore dans le choix de sa diffusion-distribution. Au-delà de la question du capital et de la construction d'un catalogue, il est aussi question de la posture et du positionnement dans la société et vis-à-vis de la responsabilité sur le rôle social du livre, c'est-à-dire comment rendre le livre le plus accessible possible ou comment travailler avec des homologues étrangers, même quand ils sont invisibilisés. Nous observons un glissement depuis dix ans : la question du capital a été étoffée par une réflexion sur les pratiques, puis sur l'écologie et l'économie sociale et solidaire.
Avez-vous un exemple de bonne pratique à l'étranger qui mériterait d'être mis en place en France ?
Le réseau des maisons indépendantes est très actif et important au Chili. Depuis une dizaine d'années, les politiques publiques sont co-construites avec l'ensemble des professionnels du livre : les grandes maisons et les indépendants, les librairies et les bibliothécaires avec une réelle représentativité constructive au sein des instances. Ce travail de consultation a permis un encadrement du livre assez remarquable, notamment sur les achats publics. Ils travaillent à la mise en place d'un quota d'achat chez les éditeurs indépendants pour les achats publics, à destination des écoles et des bibliothèques. Ce n'est pas encore acquis à 100 % mais ce quota garantirait aux indépendants une certaine visibilité mais aussi un certain chiffre d'affaires.
Quels sont les effets de la crise sanitaire sur les éditeurs indépendants ?
Des éditeurs qui étaient déjà face à une économie tendue sont grandement fragilisés par la fermeture des librairies et l'annulation des foires et salons. C'est le cas des éditeurs en Amérique latine et en Afrique, mais aussi de maisons régionales en France. Certains éditeurs ont réussi à rebondir en revalorisant leur fonds ou en développant des outils numériques. Le Chili et le Mexique ont vu naître des initiatives de foires du livre indépendant en ligne. Cette période de crise souligne aussi le grand écart entre les éditeurs soutenus par les pouvoirs publics, comme en France et au Québec, et ceux qui ne le sont pas. Voir ces derniers se regrouper prend beaucoup de sens. Leurs difficultés se sont renforcées mais ils ont su rebondir avec souplesse et flexibilité. Ces petites structures sont parfois plus agiles et plus à même de créer des alternatives. C. L.