Lors de la lecture d'un extrait de Zéro au festival Extra ! en septembre dernier, Laura Vazquez captive et hypnotise son public, dans une salle pas assez grande pour accueillir toutes les personnes venues la voir et l'écouter. Elle est habillée tout en noir ; dans la pénombre, son visage et ses mains, qui retiennent les pages blanches qu'elle laisse tomber au fur et à mesure qu'elle les lit, se distinguent nettement sous la clarté du projecteur. Mais très vite, c'est le son qui saisit, la tonalité méditative de sa voix, le mouvement continue de ces feuilles qui s'étalent sur le sol, le petit balancement du corps, le rythme en ritournelle de son texte... « Tu sais bien que j'ai besoin / oui tu as besoin / oui / j'ai besoin tu sais / oui tu as besoin / moi aussi / je sais / tu as tellement besoin / oui / tu as besoin de quoi / je ne sais pas / moi non plus je ne sais pas / alors taisons-nous / oui / pour voir / oui. » Dans cette « tragédie lesbienne » composée lors de sa résidence à la Villa Médicis et paraissant ces jours-ci, Laura Vazquez décrit « ce que l'on ressent dans les premières amours : que l'autre va nous sauver absolument, nous comprendre absolument et que l'on va ressentir la même chose que l'autre absolument et à chaque moment. Mais ça n'existe pas ».
En 2014, elle publiait un premier recueil de poèmes aux éditions Cheyne, La main de la main, et cofondait une revue de poésie microéditée (une feuille de papier pliée en quatre, sans ISBN), Muscle, où étaient réunies de nombreuses voix, françaises et étrangères, du paysage poétique contemporain. Depuis longtemps, elle se filme en lisant ses textes, qu'elle diffuse sur les réseaux sociaux. La pièce de théâtre Zéro est son troisième livre aux Éditions du sous-sol, après deux premiers romans, La semaine perpétuelle (2021) et Le livre du large et du long (2023). Son prochain, très politique, s'appellera Les forces : « C'est un roman à propos des forces qui nous entourent et qu'on vit à l'intérieur de soi, les forces du déterminisme, ce qui fait qu'on est soi, qu'on croit être soi, qu'on croit être quelqu'un, les forces d'une société néolibérale ultracapitaliste », explique Laura. Les questions de l'oralité et des formes sont fondamentales dans son œuvre. Ce qui fait lien ? La poésie, le rythme, l'apparent calme de l'art dans le chaos du monde. Lue ou jouée, la poésie devient « un geste qui peut être observé par toutes les personnes, y compris celles qui ne savent pas lire », précise-t-elle. Laura Vazquez n'imite pas les formes traditionnelles des genres littéraires. Dans Zéro, même les didascalies ont un aspect profondément poétique.
Si elle s'est installée à Marseille il y a quinze ans, après avoir passé six années en Espagne, c'est pour son Centre international de la poésie. Issue d'un milieu très populaire dans un village près de Perpignan où l'a élevée sa grand-mère analphabète et superstitieuse, elle a suivi à Séville un cursus universitaire où elle ne se reconnaissait pas. Cependant, grâce à lui (et à des bourses), elle a pu écrire ses propres textes.
Le soir de sa performance au festival Extra !, Laura Vazquez portait le t-shirt de la tournée 2024 de Rebeka Warrior, sur lequel apparaît un de ses poèmes, commandé par la musicienne, « Le moment de rien ». Dans quelques semaines, lorsqu'elle aura achevé et rendu son prochain roman, Laura Vazquez prévoit, grand sourire, de faire de la musique, à la guitare électrique et au chant. Si sa hâte est palpable, la nôtre l'est d'autant plus.
Zéro
Éditions du sous-sol
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 22 € ; 192 p.
ISBN: 9782364688414