Dans un bus, le 9 septembre 2005, le cœur de Lætitia flanche. Elle est conduite à l'hôpital où elle meurt. Son mari recueille toutes les données, les rapports des forces de police, du médecin réanimateur, jusqu'à son électrocardiogramme qui fixe les derniers battements de son cœur. Il veut tout savoir d'un événement qui l'a anéanti, lui et ses enfants. Lætitia était la première femme de Christian Ingrao. C'est l'un des moments forts de l'entretien que l'historien du nazisme a accordé à Philippe Petit.
Ce moment tragique traduit le rapport que Christian Ingrao entretient avec les violences extrêmes et sa façon « d'apprivoiser la dimension tragique de l'existence humaine ». C'est en quoi cette conversation sincère est passionnante. Parce qu'elle montre l'itinéraire d'un historien atypique qui a choisi un champ d'investigation bien particulier. Les champs de l'histoire s'apparentent quelquefois aux champs d'honneur. Beaucoup y tombent. Pas lui. Cette force, il la tire du souvenir de cette journée vécue comme un tremblement de terre.
Dans ses recherches aussi, il tente de percer le mystère de la violence qui s'exerce cette fois en temps de guerre. Du frisson il veut faire l'histoire, celle qui habite Brasillach lorsqu'il se rend à Nuremberg, comme celui des SS qui passent à l'acte et massacrent sans compter. Sans ciller, il veut fixer « le soleil noir du paroxysme ».
Christian Ingrao appartient à la génération d'historiens français qui ont étudié différemment le nazisme à la fin du XXe siècle, non plus en prenant pour objet totémique Hitler, mais la société tout entière. « Mon travail tente de restituer la traversée du génocide par les tueurs. » Il fait partie de l'équipe chargée de l'édition française de Mein Kampf à paraître chez Fayard.
L'auteur desChasseurs noirs(Perrin, 2006) et deCroire et détruire(Fayard, 2010) n'a cessé de revenir sur le passé. Cette urgence de l'historien consiste à prendre son temps en prenant conscience de celui dans lequel il évolue. Son adresse aux historiens du temps présent se révèle comme la visite d'un atelier où sont disposés des livres, des archives, des témoignages, des outils et un savoir-faire. Il ne reste qu'à trouver des projets. Visiblement, il n'en manque pas.
Les urgences d’un historien
Cerf
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 16 euros ; 136 p.
ISBN: 9782204127035