Comment fait-on l’amour pendant la guerre ? La question - titre du nouveau roman de Cathie Barreau - est-elle une question ? Disons qu’elle réunit dans la même phrase deux termes antithétiques dont on se demande bien de quoi il pourrait bien accoucher. C’est en philosophie une aporie, voie sans issue du sens, mur contre lequel s’écrase toute raison. Amour, guerre, pulsion de vie, pulsion de mort, sont des faits pourtant. Aussi toute l’interrogation réside-t-elle plutôt dans le comment : comment deux être peuvent s’aimer alors que tout autour conspire contre leur histoire. Entre violence et distance, les dés sont tragiques. Elle vient de Nantes et écrit ; lui écrit aussi, est journaliste mais surtout pris dans la spirale de la lutte fratricide qui déchire son pays, le Liban. Donatienne, qui porte par atavisme les stigmates des deux conflits mondiaux, voudrait faire un livre sur la guerre. Elle rencontre Jad à Beyrouth. Et Dona de réaliser que la guerre n’est pas matériau aisé. La relation des événements ne saurait jamais rendre compte des drames personnels : « Les récits de guerre sont dans les livres. Toutes les guerres de ses ancêtres, et aussi celles de Jad et de sa famille ne sont pas racontées. » Impossible d’écrire. Malgré la guerre, ou à cause d’elle, voilà que ces deux-là deviennent amants. L’attraction des corps sûrement, mais aussi des mots qui se complètent et se comprennent. Paroles chuchotées, échanges de mails, deux solitudes enlacées : « Ils disaient ce qui n’aurait pas été dit aux amis les plus proches parce que, quand on vient de se rencontrer, c’est comme un exil de quelques jours qui détache les carapaces, rend plus légers les cœurs qui respirent enfin dans l’air enfumé de Beyrouth. » Poussée par Jad, Dona commence un roman.
Cathie Barreau tisse cette histoire d’amour « nomade » en y insérant les pages « fictives » de Charbel et Kamila, le roman in progress de son personnage Donatienne. Plutôt que de suivre la logique chronologique, elle préfère raconter dans l’ordre des sensations ce temps dilaté de l’amour, elle ne distribue pas les chapitres selon la succession des saisons : l’hiver à Nantes, celui où Dona attend Jad, vient avant le printemps de leur rencontre à Beyrouth. Cela crée une sorte de confusion du sens et des sens, de l’ordre du vertige du souvenir de la sensualité. S. J. R.