Installé en Californie, Jim Francis a coupé les ponts avec son Ecosse natale. Hormis cette fois pour les funérailles de sa mère, il s’était juré de ne plus y retourner. Jim est un artiste réputé de la côte Ouest et fréquente les stars, comme George Clooney. Sa technique: le portrait sculpté qu’il lacère ensuite avec une lame. Le personnage principal de L’artiste au couteau du nouveau Irvine Welsh n’est autre que Frank Begbie dit Franco, l’un des protagonistes du premier roman de l’auteur écossais né en 1958, porté à l’écran par Danny Boyle, Trainspotting.
Après Porno (Au Diable vauvert, 2011), la suite du best-seller, et Skagboys (même éditeur, 2016, repris chez Points, 2017), le sequel, l’avant-Trainspotting, Welsh fait revenir son héros à ses sources calédoniennes et prolétaires. Bien malgré lui. Le quadragénaire, criminel réformé par la force de l’amour de Melanie rencontrée en prison, où elle travaillait comme art-thérapeute, est parti aux Etats-Unis, a changé de nom et de vie: il ne boit plus, a deux adorables fillettes, Grace et Eve. Tout va pour le mieux dans le meilleur du Nouveau Monde, quand un coup de fil de sa sœur Elspeth change la donne. Sean est mort, lui annonce-t-elle. Sean et Michael, des enfants qu’il a eus d’un premier lit, les fantômes du passé, reviennent en force, "toutes ces personnes [qui] semblent à présent appartenir à une autre existence, vécue par d’autres". Case départ et ironie cruelle, Franco se rend volontairement chez les policiers. L’inspecteur lui décrit comment son fils a été découvert: le corps présentait de multiples coups de couteau, l’artère fémorale était tranchée. Drogué et donc peu conscient, il avait à peine résisté contre l’assaillant, son bras ne portait que quelques lacérations, preuve d’"une défense de pure façade". La lame qui blesse et tue est un thème qui traverse ces pages, c’est le tranchant d’une violence brutale qui relie l’art de Jim Francis à son fils assassiné, à d’autres victimes? Qu’y a-t-il, et qui se cache derrière la pratique de "l’artiste au couteau"?
Welsh signe ici un thriller où, par le biais de dialogues intérieurs, l’horreur se psychologise plus que d’habitude, mais elle est toujours là qui nous tient en haleine. L’angoisse aussi, désespérante: et si on n’échappait jamais à soi-même? S. J. R.