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L’Adelc a « 36 ans et 9 mois » : le non-anniversaire d’un modèle unique au service des librairies

Didier Grevel, délégué général de l'Adelc et Antoine Gallimard son président - Photo Olivier Dion

L’Adelc a « 36 ans et 9 mois » : le non-anniversaire d’un modèle unique au service des librairies

À l’occasion du « non-anniversaire » de l’Association pour le développement de la librairie de création (Adelc), son délégué général Didier Grevel revient aux côtés d’Antoine Gallimard, président et membre fondateur, sur près de 37 ans d’accompagnement des librairies indépendantes. Né dans le sillage du prix unique du livre, l’organisme a su s’imposer comme un partenaire économique et stratégique, fidèle à son esprit d’origine : soutenir les librairies, tout en préservant leur autonomie. Entre transmissions délicates, mutations du marché et nouveaux défis, les deux hommes dressent un point d’étape lucide, mais confiant, sur l’avenir du réseau.

Par Élodie Carreira
Créé le 07.10.2025 à 14h48

Livres Hebdo : Pouvez-vous revenir sur le contexte de création de l’Adelc, en 1989 ?

Antoine Gallimard : L’Adelc a vu le jour dans le sillage de la loi du prix unique. À l’origine, c’était une idée de Jérôme Lindon, des éditions Minuit, qui souhaitait mettre en place un mécanisme alternatif au système bancaire, qui se refusait alors à apporter des crédits aux librairies souhaitant se développer. Si les grands groupes n’ont pas immédiatement compris la démarche, Jérôme Lindon, très persuasif, a su convaincre François Gèze (La Découverte), Michel Chodkiewicz (Le Seuil) et moi-même pour Gallimard, de rejoindre le projet. France Loisirs a lui aussi rapidement soutenu l’Adelc, considérant les librairies comme de véritables lanceurs de livres. Le groupe avait besoin des librairies comme rampe de lancement et a donc contribué de manière significative, en versant, comme les autres éditeurs, 0,15 % de son chiffre d’affaires - soit, pour lui, environ trois millions de francs à l’époque, par an et pendant trois ans.

Didier Grevel : C’était une époque particulière. Les taux d’intérêt étaient très élevés, autour de 12 à 13 %, et les banques manifestaient une réelle défiance à l’égard de la librairie. La création de la loi sur le prix unique avait eu un double effet : elle avait certes sanctuarisé le secteur, mais elle avait également alimenté l’inquiétude des banques, pour qui la régulation du secteur sous-entendait la fragilité de la librairie. Par ailleurs, nous demandions aux éditeurs d’adhérer à l’Adelc sans pour autant jouer de cette participation pour imposer leur catalogue en librairie. Autrement dit, depuis près de 37 ans, les membres du comité d’engagement, essentiellement constitué des directeurs commerciaux des maisons membres du conseil d’administration, entrent en réunion en renonçant à leur casquette professionnelle, afin d’examiner les dossiers de la façon la plus objective possible.

« L’Adelc est devenue un véritable arbitre des librairies de qualité »

Quel regard portez-vous sur l’évolution de l’organisme ?

D.G. : Très vite, l’histoire nous a donné raison. Notre postulat de base était clair : les librairies sont des acteurs économiques. L’objectif n’a donc jamais été de les mettre sous un robinet de subventions, mais de créer un environnement de financement bien plus confortable que les dispositifs classiques, en leur permettant de nous rembourser. C’est ce système vertueux qui nous a d’ailleurs permis de soutenir d’autres librairies. Aujourd’hui, nos capacités d’intervention et notre taux de remboursement sont très bons. Les comptes courants d’associés sont remboursés à taux zéro, une évolution notable puisque jusqu’en 1999 ils étaient encore indexés sur l’évolution du prix du livre. Au fil du temps, nous avons su créer un solide fonds de roulement. Lequel nous a permis en 2020, pendant le confinement, de débloquer un fonds de cinq millions d’euros pour accompagner la trésorerie des librairies, en prenant en charge l’intégralité de leurs charges externes pendant trois mois – soit, en moyenne, 11,5 % de leur chiffre d’affaires.

A.G. : Je crois que l’on peut affirmer que l’Adelc est une réussite. L’équipe est dotée d’une expertise telle qu’elle est en mesure de statuer sur la capacité de gestion d’un libraire et sur le potentiel de développement d’une librairie. Avec le temps, l’Adelc est devenue un véritable arbitre des librairies de qualité, au point de créer, en partenariat avec le Centre national du livre (CNL), le label Librairie indépendante de référence (LiR).

Didier Grevel, délégué général de l'Adelc
Didier Grevel, délégué général de l'Adelc- Photo OLIVIER DION

 

On l’a dit, l’une des missions principales de l’Adelc est de soutenir financièrement les librairies. Néanmoins, son action ne se limite pas à cet aspect. Pouvez-vous nous en dire plus sur les autres formes d’accompagnement ?

D.G. : Nous sommes avant tout des associés et c’est là toute la différence ! Nous ne nous contentons pas de signer un chèque : nous accompagnons, nous intervenons sur place, je crois d’ailleurs que les premiers frais de fonctionnement de l’Adelc vont à la SNCF ! (rires). Nous aidons à revoir l’organisation, les assortiments et nous mettons également à disposition des 365 librairies adhérentes l’ensemble de nos outils de gestion et de pilotage, comme Datalib, qui permet de suivre quotidiennement la trajectoire des livres dans chaque librairie. C’est un véritable outil d’aide à la décision, qui donne accès aux fiches détaillées de toutes les enseignes : chiffre d’affaires, localisation, surface commerciale…

« Il n’y a rien de mal à diversifier l’activité, à condition que le livre reste au cœur de la librairie »

Comment choisissez-vous les dossiers à soutenir ? Avez-vous une grille de critères prédéfinis ?

D.G. : Nous n’avons pas de critères, nous avons des dossiers. Historiquement, nous avons aussi bien soutenu des librairies situées dans des petites communes de 5 000 habitants, que des grandes enseignes de centre-ville. Ce qui nous enthousiasme particulièrement, ce sont les dossiers portés par des professionnels expérimentés ou par des personnes très intéressantes, qui débutent dans le métier avec beaucoup d’humilité, une qualité indispensable pour se former et réussir dans la profession.

A.G. : Dans l’enthousiasme post-Covid, de nombreuses librairies ont vu le jour il y a deux ou trois ans, malgré un manque de compétences et de connaissances du métier. Dans ce type de situation, en revanche, il n’est pas raisonnable de leur accorder un financement…

Quelles maladresses constatez-vous chez ces « néo-libraires », souvent issus de reconversions professionnelles ?

D.G. : Nous avons reçu un nombre exceptionnel de dossiers entre 2021 et 2022, presque le double de notre flux habituel. De facto, nos réponses négatives ont elles aussi doublé. La première question que nous nous posons face à un dossier est toujours la même : le projet est-il à la fois commercial, intellectuel et porté par un libraire ou par quelqu’un capable de le devenir rapidement ? Beaucoup de projets ont été initiés par des personnes dont l’ambition première n’était pas de faire de la librairie, mais de changer de vie. Ces candidats se sont souvent formés trop rapidement, mal ou pas du tout.

On a notamment vu apparaître un certain nombre de « librairies-concepts ».

D.G. : Il n’y a rien de mal à diversifier l’activité, à condition que le livre reste au cœur de la librairie. À Manosque, par exemple, la librairie La somme de nos folies, récemment inaugurée, a choisi de mettre l’accent sur son espace café, mais il ne s’agit en réalité que d’un petit coin avec deux tables. D’autres librairies font de même, souvent parce qu’elles disposent d’une surface commerciale importante. La semaine dernière, je me suis rendu à la Boîte à Livres à Tours, qui occupe 1 500 m² et a donc aménagé une cafétéria avec un service de restauration pour une trentaine de couverts. Cela peut sembler considérable mais ce volet ne représente pas plus de 5 % du chiffre d’affaires de la librairie.

« Réussir une transmission implique d'être dans une logique de continuité »

L’un des enjeux majeurs, pour le secteur, est la question de la transmission de librairie. Cela se reflète-t-il dans les dossiers que vous recevez ? Et comment réussir ces passages de relais souvent délicats ?

D.G. : En effet, la transmission est l’un de nos principaux sujets, et constitue même la première raison de notre intervention. Depuis le début de l’année, nous avons ainsi accompagné 16 transmissions. Or, réussir une transmission implique d’être dans une logique de continuité. Il faut donc créer des conditions économiquement favorables et tenables pour le repreneur. Il faut savoir faire des compromis, et parfois accepter un prix de cession inférieur à celui de la librairie, ou à la valeur de son emplacement. Sur cette question, l’Adelc tend à prioriser la qualité du repreneur et à sécuriser l’avenir de l’enseigne, quand bien même cela suppose une cession moins avantageuse pour le cédant. Notre avis, ici, est décisif, car il rassure non seulement les éditeurs, distributeurs, diffuseurs et les banques, mais aussi parce que le CNL attend notre réponse pour donner la sienne.

Antoine Gallimard, président de l'Adelc
Antoine Gallimard, président de l'Adelc- Photo OLIVIER DION

 

Un autre sujet sensible concerne la hausse des fermetures de librairies. Dans son dernier rapport, le CNL note pour la première fois que ce phénomène touche aussi des enseignes établies de longue date. Partagez-vous cette analyse ?

D.G. : Récemment, en examinant les données de Datalib pour la période du 1er janvier au 31 août 2025, nous avons constaté que 160 des 365 librairies adhérentes à l’Adelc ont enregistré une évolution positive de leur chiffre d’affaires. Une quarantaine est à l’équilibre, une autre quarantaine en léger négatif, tandis que le reste, et ce n’est pas énorme, connaît des baisses de 7 à 10 %. Un deuxième constat, qui rejoint celui du CNL, est que depuis un an et demi, de plus en plus de librairies, pourtant bien établies, font effectivement face à des problèmes de trésorerie. Il convient toutefois de contextualiser ce phénomène. Pendant la période 2021-2022, plutôt favorable pour les librairies, certains ont, semble-t-il, négligé les fondamentaux de la gestion et se sont lancés dans des investissements trop ambitieux. Beaucoup, par exemple, ont contracté des PGE (prêts garantis par l’État), d'abord destinés à reconstituer les trésoreries et qui, parfois, ont financé des travaux ou d'autres projets, alors que ces prêts doivent être remboursés en quatre ans, et que ces investissements ne peuvent être amortis avant huit ans. Il nous a donc fallu aider les librairies à prendre des décisions difficiles, telles que le licenciement d’un salarié ou la fermeture d’un magasin annexe, souvent dédié à la BD ou au manga par ailleurs, et à réfléchir à la manière de réinjecter ces références dans la boutique principale.

A.G. : Vous avez tout de même raison de souligner que la situation actuelle change la donne. Le panier moyen diminue, le public se tourne davantage vers les poches et les livres d’occasion, qui représentent désormais 15 à 20 % du marché. Les budgets culturels sont en baisse, l’Île-de-France a supprimé les manuels scolaires papier, les achats en bibliothèques diminuent, les centres-villes se vident et les grandes surfaces culturelles se multiplient. Pendant ce temps, les librairies font face à des loyers et des charges de plus en plus élevés, tandis que les marges restent faibles et que la masse salariale demeure, à juste titre, conséquente, en représentant a minima 20 % du chiffre d’affaires d’une librairie.

Ces bouleversements vous inquiètent-ils ? Et comment les libraires peuvent-ils les surmonter ?

D.G. : Disons que je suis un pessimiste-actif, pour reprendre l’expression haïtienne chère à Sabine Wespieser, vice-présidente de l’Adelc. La situation est certes préoccupante, mais je reste convaincu que nous avons les moyens d’y faire face. L’une des clés consiste à professionnaliser davantage les librairies : multiplier les animations, affiner les assortiments, retravailler le fonds et le catalogue, ou encore s’appuyer sur des équipes solides. Bien menées, ces actions permettent de dégager des marges correctes et de s’assurer une certaine stabilité. Cela dit, comme me confiait récemment un libraire, là où il suffisait autrefois d’un seul titre pour écouler 100 exemplaires, il faut désormais en défendre trois ou quatre pour atteindre le même volume de ventes.

 

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