13 octobre > Mémoires Etats-Unis

Injustement méconnue en France, elle si amoureuse de notre pays, où la plupart de ses nombreux livres demeurent inédits, Martha Gellhorn (1908-1998) fut une femme et une journaliste d’exception. Les happy few à qui son nom dit encore quelque chose se souviennent qu’elle fut un temps, de 1940 à 1945, l’épouse d’Hemingway, rencontré dès 1936, et avec qui elle partit couvrir la guerre d’Espagne. Mais elle ne pouvait supporter de rester dans l’ombre d’un "grand homme" qu’elle surpassait sur bien des points : la modestie, l’humour, le courage physique.

Jusqu’en 1990, celle qui se définissait comme "une voyageuse des guerres" a sillonné tous les endroits du monde où l’on se battait, sans jamais aimer la guerre ni les "héros", qu’elle moque souvent, mais en profonde empathie avec les populations souffrantes, les victimes. Son reportage sur Dachau, par exemple, où elle arrive dès mai 1945, alors que quelques survivants fantomatiques errent encore dans le camp, parmi les cadavres de leurs frères et ceux de leurs bourreaux, est l’un des plus beaux textes de la littérature mondiale. Tout comme son compte rendu des procès de Nuremberg, où elle est frappée par la banalité apparente, la bêtise, la froideur des accusés, ces monstres responsables de millions de morts.

Mais il faudrait tout citer, ses articles sur la guerre d’Espagne, sur celle du Vietnam ("une nouvelle sorte de guerre"), celle des Six-Jours, où elle prend résolument parti pour les Israéliens, jusqu’à l’expédition américaine contre Panama, en 1990, qu’elle estime totalement indéfendable. Rappelons que même si elle vivait depuis longtemps en Grande-Bretagne, Martha Ellis Gellhorn était américaine, sudiste de Saint-Louis, Missouri.

Grand reporter, journaliste engagée, Martha Gellhorn était aussi une femme de convictions, d’idées. Toute sa vie, elle resta fidèle à ses idéaux républicains, à son humanisme chevillé au corps. Ce pourquoi, vers la fin, elle ne pouvait que dresser un bilan accablant de ce XXe siècle qu’elle a quasiment traversé, avec la prolifération des armes, des conflits, du nucléaire, et pressentir un angoissant XXIe siècle. Des pages prophétiques, préfaces, notices ou conclusions ajoutées au fil des rééditions de La guerre de face, son chef-d’œuvre, de 1959 à 1993. Elle s’est trompée sur un seul point, croyant que les Etats-Unis et l’Europe étaient en sécurité !

Diminuée par la maladie et les infirmités du grand âge, elle s’est suicidée en 1998, à Londres, trente-sept ans après Ernest Hemingway dont le nom ne figure à aucun moment dans son livre. Jean-Claude Perrier

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