Germaine Sablon (1899-1985) est moins connue que son frère Jean, le crooner des années trente qui prenait ses admiratrices dans son filet de voix. Pourtant, cette jolie femme avait elle aussi une voix prenante doublée d'un sacré tempérament. Dominique Missika lui rend hommage à travers cette histoire d'amour et de guerre. C'est la femme de Joseph Kessel, Katia, qui les présente en 1935. Elle est connue comme actrice, mais surtout comme chanteuse avec un succès intitulé « Ici l'on pêche ». Jef va mordre à l'hameçon. L'écrivain baroudeur est subjugué par cette voix « tour à tour câline, tragique ou joyeuse ». Mais comme le souligne Dominique Missika, cela ne suffit pas à expliquer une relation qui durera presque dix ans. Il y a autre chose, autre chose que cette enquête révèle.

Au début de leur relation, Maurice Druon n'aimait pas la maîtresse de son oncle. Mais quand il la vit traverser les Pyrénées sans broncher pour rejoindre Londres, il n'hésita pas à confier son admiration. « Cette belle femme était vraiment résistante, à tous les sens du terme. » Dans la capitale britannique, elle note dans un cahier les paroles du Chant des partisans qu'elle enregistre en 1943 aux Ealing studios. Puis elle est présentée à de Gaulle, cela se passe mal. Elle trouve le chef de la France libre méprisant. Elle finit la guerre comme conductrice-ambulancière dans la 1^re division de la France libre, décorée pour son courage et farouchement antigaulliste.

Dans cette affaire de cœur, Joseph Kessel reste fidèle à lui-même, n'imaginant la vie qu'à travers les tempêtes, l'alcool et l'opium. Mais le calme sûrement pas. Elle non plus ne se voyait pas confinée au foyer, attendant le retour du héros. Les ruptures comme les coups de foudre s'expliquent difficilement. Germaine se serait mal comportée avec Katia, Dominique Missika avance une autre hypothèse. « Il lui fait payer son indépendance de caractère. Rares sont les femmes qui l'ont quitté. C'est plutôt lui qui part. N'avait-elle pas compris qu'il avait besoin qu'elle reste auprès de lui pour l'aimer ? » Mais rester auprès d'un courant d'air, c'est prendre le risque du coup de froid. De l'oubli aussi. Dominique Missika rétablit avec justesse la réalité d'une relation passionnelle. Et après le succès des Inséparables (Seuil, 2018) elle signe un brillant portrait de couple.