25 AVRIL - ESSAI ET ANTHOLOGIE France

Vincent Delecroix- Photo PHILIPPE MATSAS/FLAMMARION

En philosophie, pas de rengaine, les thèmes sont inoxydables, on peut éternellement les creuser. La nouvelle collection de Benoît Chantre (fondateur et ancien directeur éditorial de Carnets Nord), "Sens propre" chez Flammarion, a pour principe de prendre un verbe et de le conjuguer de manière critique et existentielle : "La vie nous éloigne de la philosophie, elle nous rapproche de la sagesse. Les auteurs refont ici le même chemin, à partir d'expériences concrètes que tous peuvent partager. Le sens qui apparaît au coeur de ces pratiques, nous nous l'approprions. C'est le sens propre de notre vie." En début de mois est paru Revivre : éprouver nos blessures et nos ressources de Frédéric Worms. C'est à présent au tour du romancier et philosophe né en 1969, Vincent Delecroix, de s'interroger sur le verbe chanter. Sous-titré "reprendre la parole", l'essai entend faire réfléchir sur l'ambiguïté du chant, entre verbe et musique. Qui est le je qui chante ? Quelle est cette voix qui exulte et s'exalte ? Dans le monde désenchanté de la raison qui n'en finit pas de douter, la spontanéité du chant n'est-elle pas ce retour vers nos joies enfantines ? N'est-ce pas là que vibre notre vrai moi ? Relique encore vive d'un être pur d'avant les compromissions avec le réel. L'auteur du Tombeau d'Achille (Gallimard, 2008) nous met en garde contre la tentation de la nostalgie de l'aube, contre un Rousseau qui dans l'Essai sur l'origine des langues cite Strabon : "Dire et chanter était autrefois la même chose." "La ritournelle du désenchantement est le nouveau chant des sirènes : n'y succombe pas", prévient Delecroix. "Le présent n'est pas une chute ou le signe de la chute. Il est risque. » Et d'exhorter : "N'insulte pas le présent et séjournes-y. Le présent est le lieu, rigoureusement ouvert et incertain, où l'on joue sa parole, où l'on la risque, où l'on peut effectivement la perdre, où l'on peut la reprendre. Reprends-la : chante."

Si l'essai de Vincent Delecroix est composé de quatre parties - "Nous chantons", "Mythes", "L'art et la chanson", "Devenir lyrique, écrire, penser" -, rien de rigide dans cette partition. La pensée de son auteur évolue, légère, entre théorie, anecdotes et fiction : Vincent Delecroix évoque la chanteuse qu'il aime, réécrit la fable de la cigale et de la fourmi, dépeint le portrait d'Ulysse « le bourgeois mélomane » ou d'Orphée-Christ, imagine une nouvelle autour de La danse des canards, cite le groupe pop anglais des années 1980, The Smiths... Et pour accompagner ce Chanter de Vincent Delecroix, sort une Petite bibliothèque du chanteur, une anthologie établie et présentée par le même : éloge de la voix dans les lettres avec Kierkegaard, Lamartine, Tchekhov, Leiris, Quignard... Car faire chanter les mots, telle est l'ambition de l'écrivain.

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