Le problème, quand on a des opinions qui ne rejoignent pas nécessairement celles de la doxa, est que cette dernière vous renvoie toujours dans les marges honteuses de l'élitisme, de la réaction ou de la soumission à tous les pouvoirs. Tous gros mots auxquels il est plutôt désagréable de se voir apparier. Heureusement, de temps en temps, tel ou tel individu averti et indifférent à ce funeste sort vient, en outsider des lettres et de la société, prouver qu'un autre chemin est possible, n'en déplaise aux trissotins.

Ainsi en va-t-il de la toujours juste et salutaire Cécile Guilbert, cette « irrégulière » du monde littéraire depuis vingt-cinq ans et presque autant de romans, d'essais, de recueils critiques (parmi lesquels on citera les passionnants Pour Guy Debord, Gallimard 1996, Warhol Spirit, Grasset 2008 ou Réanimation, Grasset 2012). Elle publie aujourd'hui Roue libre, recueil de chroniques, pour certaines inédites, pour d'autres publiées dans le journal La Croix et remaniées, sorte de vade-mecum de l'honnête homme et de l'honnête femme face à la laideur du monde, la marchandisation de la culture et la passivité moutonnière de ceux à qui elle s'adresse. La culture y est montrée comme un terme désormais générique et vulgaire s'opposant absolument à ce qui devrait pourtant la nourrir : l'art, l'art véritable. Guilbert dispose pour ce faire de mieux qu'un goût très sûr, un dégoût qui l'est encore plus.

Elle dénonce donc, « l'absence manifeste d'art de penser la politique, la société ou l'art lui-même : soient une imperméabilité et une surdité complètes à la nuance, à la complexité, comme une absence totale de sensibilité à l'ambiguïté, bref à tout ce qui empêche de raisonner sur le mode binaire du bien et du mal ou à l'emporte-pièce ». Elle y oppose sa belle capacité à aimer. On entend par là quelques écrivains et artistes, comme autant d'îles encore vierges et belles entourées d'un océan de vulgarité. Hommages aux méconnus Charles Matton ou à Guy Dupré, à un essai de Marc Weitzmann, au travail vitaliste de Rudy Ricciotti, au féminisme au singulier de Marie de Régnier ou Dominique Rolin. Tout est dit, tout est écrit ; le présent peut être laid, l'avenir appartiendra toujours aux réfractaires.

Cécile Guilbert
Roue libre
FLAMMARION
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 21 € ; 320 pages
ISBN: 9782080207456

Leçons de danse

Laura Cappelle

Pas évident de faire l'histoire d'un champ qui, longtemps, n'a pas eu d'historiens en propre, et dont les sources anciennes sont fort hétéroclites, du fait de l'atavique peu d'intérêt des savants en ce domaine. La danse a été dansée avant d'être décrite et le mouvement se déployait dans l'espace au rythme de rites religieux ou au son de musiques profanes, avant d'être consigné en théorie des pas. Difficile entreprise, donc, mais la gageure a été soutenue par un ouvrage collectif sous la houlette de Laura Cappelle. Si cette Nouvelle histoire de la danse en Occident suit un tracé chronologique, « de la préhistoire à nos jours », sa conception entend refléter les avatars de cette pratique protéiforme, tour à tour sacrée, esthétique, civique, politique « et parfois même absente, sinon comme idée », à travers une série d'essais qui se lisent à la manière d'entrées d'encyclopédie. « Les lectures historiques de la danse proposées ouvrent un dialogue ambitieux avec des problématiques plus larges », prévient la critique de danse et maître d'ouvrage du volume. Qui dit danse, dit corps. Le corps du danseur, de la danseuse, qui est également celui d'un être dans la cité, sur scène ou dans l'espace public. Ballets royaux, hip-hop des quartiers... La danse est une expression de liberté, en tant que soupape ou que rébellion. Voire contre le carcan de la tradition chorégraphique elle-même - au XXe siècle, des noms ont marqué l'histoire comme Diaghilev, ou plus tard Merce Cunnigham, puis Pina Bausch. Quelle ronde ! C'est enivrant, entrez dans la danse !

Laura Cappelle
Nouvelle histoire de la danse en Occident : de la préhistoire à nos jours
SEUIL
Tirage: 7 000 EX.
Prix: 31 € ; 368 pages
ISBN: 9782021399899

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